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Section sous la responsabilité de
Cassie Bérard
Jean-Philippe Lamarche

Un doigt montre avec ostentation une crevasse, un autre des gouttes de sang au milieu de gouttes d’eau, encore un une pierre maculée d’une substance que la photographie en noir et blanc refuse de dévoiler, un index tendu pointe l’écran cathodique démoli d’un téléviseur. De toute évidence, ces doigts, tels des admoniteurs, nous ordonnent de regarder des éléments précis de l’image. Le caractère péremptoire des gestes oblige à penser qu’il s’agit là d’éléments de preuve, d’indices à insérer dans le cours d’événements que l’on soupçonne tragiques, peut-être quelque fait divers. Un coup de flash cautérise la nuit, une croix de craie blanche fétichise un bout de trottoir, une main remonte le pare-brise d’un bus de la ligne 25, sous le regard impassible du chauffeur, mais de quoi s’agit-il exactement? Ces images sont muettes, bâillonnées, car encore prisonnières de ce bocal rempli de bouts de négatifs qu’Alain Pratte trouva un jour chez un brocanteur. Certes, il les a numérisées, pour éventuellement en révéler les secrets, mais le récit qu’elles devaient étayer demeure verrouillé, au mieux latent. S’il fallait conjecturer sur leurs usages d’origine, nous évoquerions l’enquête policière, la réclamation d’assurances, le procès. À n’en point douter, ces images sont des attestations visuelles destinées à corroborer des dires ou à infirmer des ouï-dire. Alain Pratte a voulu les faire parler, en en faisant le matériau brut d’À rebours (2003), un film d’une vingtaine de minutes réalisé au banc-titre. À partir de ces photographies trouvées dont on ne sait rien du tout, l’artiste a constitué des séquences et des enchaînements à partir desquels le spectateur peut confectionner des bribes de récit. Le modèle des voitures, les plaques d’immatriculation, la mode, la dégaine des gens, le mobilier urbain pointent en direction de Montréal, entre 1966 et 1975. Voilà tout ce que ces images sont en mesure d’authentifier. Victimes, témoins, lieux du drame resteront pour leur part cois, mais offerts aux désirs ventriloques du spectateur.

Pour citer

LAVOIE, Vincent. 2018. « À rebours », Captures, vol. 3, no 2 (novembre), section contrepoints « Des fictions au sourire inquiet ». En ligne : http://revuecaptures.org/node/3073/