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« Autre chose vrombit au même moment, autre chose les propulse, […] un son tendu et survolté qui opère dans leurs corps comme une injection d’oxygène » (8), énonce la narratrice de Dans les rapides (2007) de Maylis de Kerangal, se remémorant comment ses amies et elle ont découvert le groupe Blondie, à l’époque du lycée. L’effet de l’audition est immédiat : « [L]e temps accélère, il mute, il ne s’écoule plus dans un sens mais explose en trois dimensions, c’est un continuum brillant de présents, de “maintenant”, de “tout de suite”, de “c’est là”. » (42) La musique, portée par la pulsion de la batterie, la saturation des guitares et la vivacité du chant, est perçue comme une forme de débordement, lequel paraît traduire et exprimer la confusion du « mal-être adolescent » (42), tout en permettant de s’en affranchir, de le transcender. Le langage semble incapable de saisir adéquatement une telle perturbation, comme le suggèrent les guillemets apposés à une série d’expressions toutes faites, apparemment convoquées faute de mieux.

Curtis Ripley, Sonata #42a (2021)  
Huile sur toile | 76 x 61 cm  
Avec l’aimable permission de l’artiste  

Le dossier « Imaginaires musico-littéraires. Métamorphoses et dérèglements », dirigé par Nathalie Vincent-Arnaud, porte sur ces liens à la fois dynamiques et problématiques entre textes et sons. Les analyses qu’il propose suivent les deux sens (ou vecteurs) empruntés par ces déplacements et translations. D’une part, il est question de la manière dont des œuvres littéraires traitent du désordre et de l’excès induits par la musique, que ce soit dans la perspective d’auditeurs ordinaires (ce qui met l’accent sur les impressions et les sensations) ou de compositeurs célèbres (ouvrant ainsi davantage aux visées ou à l’intention). D’autre part, est étudiée la façon dont des œuvres musicales expriment, sous une forme sonore, le trouble ou le déséquilibre à la base de certains textes (sujets limites, expérimentations poétiques). Ces dynamiques du passage et de la transformation sont chaque fois pensées en fonction d’un imaginaire plus vaste, ce qui permet de les aborder selon les possibles offerts par les genres musicaux et littéraires, de même que selon l’horizon d’attente supposé à la lectrice et/ou à l’auditeur.

La signature visuelle du numéro est assurée par Curtis Ripley, dont le travail cherche à transposer l’abstraction de la musique sous une forme picturale : on y retrouve, en une approche évocatrice, les notions essentielles de couleur, de mouvement, d’intensité, de volume. La section de contrepoints « Résonances » vient compléter et élargir la réflexion dans un parcours qui mène des sons eux-mêmes aux discours tenus sur ceux-ci, puis à leur mise en images. Deux articles hors dossier ouvrent à la question du tourisme (ce qui est tout indiqué pour une parution estivale) : Thomas-Bernard Kenniff s’intéresse aux haltes routières québécoises, des années 1960 à aujourd’hui, et à ce qu’elles révèlent de l’identité nationale ; Danièle Méaux traite du détournement de la photo de voyage, dans Visible World de Peter Fischli et David Weiss, et des interrogations sur cette pratique ainsi soulevées.

Lors de la composition de ce numéro portant sur les liens entre musique et littérature, l’équipe de Captures a, comme toujours, su garder le rythme et œuvrer en harmonie vers une résolution parfaite. Je remercie vivement Fanny Bieth, ainsi que Sophie Guignard, Alexandra Martin et Elaine Després, pour tout le travail accompli.

Pour citer

DAVID, Sylvain. 2022. « Éditorial », Captures, vol. 8, no 1 (mai). En ligne : revuecaptures.org/node/6966/