La notion d’autochtonie comporte une dualité intrinsèque. D’un côté, elle donne une cohésion politique à des centaines de nations qui luttent ensemble pour la décolonisation; de l’autre, elle est un produit du colonialisme et se trouve donc traversée par sa logique. Dans le cadre de l’art contemporain, par exemple, elle permet à des artistes Kwakwaka’wakw, Kanien’kehaka et Mi’kmaq de s’unir autour d’une cause commune. Elle rend aussi possible la carrière d’un Jimmie Durham.
Bien que ce conflit anime le travail de beaucoup d’artistes autochtones contemporains, les performances-installations de Lori Blondeau et Adrian Stimson sont particulièrement habiles pour le rendre vivant, et ce, pour un public autochtone aussi bien qu’allochtone. Réunie sous le titre calembouresque Putting the Wild Back into the West, cette collaboration de quatorze ans comprend une série d’évènements-expositions mettant en scène Belle Sauvage, l’alter ego de Blondeau, une cowgirl stéréotypée qui rappelle Doris Day dans le film Calamity Jane (1953), et Buffalo Boy, une parodie queer de Buffalo Bill, joué par Stimson. Ensemble, ces deux personnages satiriques sont les instigateurs d’un singulier spectacle dans lequel les membres du public sont invités à s’habiller et se faire photographier en costumes stéréotypés du Far West, tels que le cowboy, la fille de saloon, la police montée, le hors-la-loi, la princesse indienne, le prêtre et le chef indien. Dans cette espèce de transgression autorisée, le jeu avec les clichés racistes et coloniaux a pour but de les vider de leur sens. À ce titre, la mise en scène prend le contre-pied des foires et des spectacles du Far West qui renforçaient les stéréotypes racistes tout en étant un des seuls lieux où les peuples autochtones pouvaient pratiquer leur culture traditionnelle. Cette version satirique permet aux personnes autochtones de subvertir le paradigme colonialiste et invite les allochtones à incarner le burlesque de leur suprématie. La dualité de la notion d’autochtonie est donc mise en évidence par la création d’un espace de jeu solidaire et comique, mais qui reste traversé par un déséquilibre important des rapports de pouvoir. Si cet évènement carnavalesque parvient à exorciser temporairement les tabous du racisme et de l’appropriation culturelle, c’est pour mieux signaler leur persistance tenace et insidieuse dans la vie quotidienne. Il démontre ainsi comment les représentations de l’autochtonie sont hantées par la notion du « jouer à l’Indien » et que ce sera le cas tant que le colonialisme restera le maître du jeu.