Matière noire
En 2017, j’ai développé un protocole afin de réaliser une œuvre photographique évolutive qui superpose et englobe toutes les œuvres visuelles modernes et contemporaines. J’ai débuté ce travail à Paris en photographiant systématiquement chacune des œuvres présentées dans les différents musées de la ville. Depuis, le travail se poursuit dans d’autres villes et d’autres musées. Je superposerai toutes les œuvres dans un même fichier numérique jusqu’à l’atteinte du noir complet. Pour chaque nouvelle centaine d’œuvres ajoutée, un nouvel état de Matière noire est produit; chaque état devenant à la fois une œuvre autonome et le fragment d’un tout. Selon le protocole établi, j’estime qu’il me faudra entre 100 000 et 120 000 photographies d’œuvres pour atteindre mon objectif. À l’heure actuelle, j’ai réalisé autour de 25 000 photographies, dont bientôt 10 000 sont regroupées en états.
Matière noire est une tentative d’épuisement de l’acte photographique. Il est aussi un dépositaire de l’héritage de la modernité, faisant écho aux travaux de nombreux peintres qui ont opéré une réduction de la peinture, motivés souvent par un désir fou — et utopique — de faire une œuvre qui serait la somme de toutes les œuvres, ou la dernière œuvre, le dernier tableau. L’idée de la fin convoque toutes les fins. Matière noire se présente ultimement comme une façon d’apprivoiser la finitude.
J’ai commencé Matière noire dans un moment de grand désarroi, en fréquentant les musées entouré de gens qui photographiaient les œuvres sans trop les regarder. Je devais alors me trouver de nouvelles raisons pour continuer à faire de l’art et aller dans les musées. Je me suis bricolé un refuge, une sorte d’embarcation pour me sauver. Davantage qu’une entreprise critique, Matière noire est une véritable quête de sens. Les images qui en résultent imposent un ralentissement du regard, mais elles sont aussi, paradoxalement, une incarnation matérielle de la disparition et de la perte.
Site internet de l’artiste : martindesilets.com