Arnaud Guillou est chanteur lyrique, metteur en scène et créateur de la compagnie « Les voix élevées, les mains dans le cambouis » dont l’ambition est de lier création et parcours culturels au sein du système éducatif. La compagnie a créé des contes musicaux, parfois réécritures de récits modernes ou classiques, comme Cendrillon ou le mythe d’Orphée, qui entendent désacraliser l’opéra et le mettre à la portée des plus jeunes.
Laurence le Guen : Comment est né le conte musical jeune public Le chant d’Orphée?
Arnaud Guillou : En 2021, Marie-Bénédicte Souquet, artiste de la compagnie et artiste en résidence de Nantes-Opéra, m’a proposé de mettre en scène Le chant d’Orphée, adaptation à destination des enfants du mythe, avec un texte court. Sa création reprend des morceaux de Monteverdi, de Glück, quelques extraits de Didon et Enée, dont le fameux air du lamento situé à la fin de l’opéra.
Pendant ce spectacle, comme dans un conte africain, Marie-Bénédicte est à la fois conteuse et chanteuse et elle s’accompagne à la viole de gambe. Chaque spectacle est suivi d’un débat philosophique avec les jeunes spectateurs autour de l’amour, la mort, l’immortalité.
L. L. G. : Que gardez-vous du mythe?
A. G. : La valeur initiatique de la marche d’abord. Marie raconte la rencontre d’Orphée et d’Eurydice, le début de leur amour, les personnages qu’ils croisent, dont celui de la musique qui va lui donner ses pouvoirs pour affronter Cerbère et Hadès aux enfers. Le seul moyen pour obtenir gain de cause sera de chanter, ce qui séduira Hadès qui le condamnera à avancer avec cette affreuse note. La comédienne prend en charge tous les personnages, avec des formules répétitives, pour correspondre à cette marche.
L. L. G. : Les lumières semblent accompagner le récit.
A. G. : Il y a deux moments : le bonheur, moment chaud, joyeux, et puis le malheur et l’arrivée aux enfers, plus froid. Dans ces deux ambiances, des épisodes qui réchauffent alternent avec des épisodes froids pour raconter le sous-texte d’Orphée. Quand il retrouve Eurydice, la lumière est chaude puis se refroidit lorsqu’il doute.
L. L. G. : Quelles sont vos influences?
A. G. : Il est difficile de répondre. Je suis largement influencé par tout ce que j’ai pu voir ou entendre, par ce que j’ai créé auparavant, ce qui a fonctionné ou non. Évidemment, les conteurs que j’ai observés m’ont influencé dans la façon que j’ai eue de diriger la comédienne.
L. L. G. : Parlons du projet d’adaptation de Cendrillon.
A. G. : Cela fait deux ans et demi que je travaille dessus et la création se fera à Marly-le-Roy en novembre 2024. Je garde la trame narrative du conte, mais j’adapte le conte en tenant compte de notre envie de parler des troubles autistiques, de différentes déficiences. Nous voulons donner une vision spectaculaire de ces troubles, au sens de « spectacle ».
Tous les motifs importants du conte sont conservés, comme la mort de la maman de Cendrillon, les relations difficiles avec ses sœurs. Cendrillon est ici victime de moqueries car elle semble bizarre. Sa belle-mère ne la comprend pas et la punit à coup de tâches ménagères routinières, cadrées, qui lui plaisent. On poursuit le conte avec l’invitation au bal, la visite de la fée, le bal. Le masque qu’elle va porter lui permet d’avoir moins de problèmes. Elle va se mettre à chanter et séduire le prince, lui-même expert en chant d’oiseaux. Elle fuit ensuite la réception, rentre chez elle et perd sa chaussure. Dans la conclusion, elle réorganise le château et le prince et ils s’habituent l’un à l’autre. La grande morale de notre adaptation c’est qu’on peut s’aimer, malgré nos différences. Le spectacle s’appellera Cendrillon. Drôle d’oiseau.
L. L. G. : Dans quelle temporalité placerez-vous ce récit?
A. G. : J’aime bien décaler le discours, utiliser un champ lexical empreint de modernité mais rester dans ce contexte un peu contraint du château, de la princesse à grande robe. Il y aura plus de personnages que dans Le chant d’Orphée. Cendrillon sera une chanteuse et sera accompagnée d’une contrebasse, d’un piano et d’une flûte. Je voudrais reprendre des pièces du répertoire classique : Massenet, Saint-Saëns, Rachmaninov, Mozart, Ravel ou Strauss. Mais aussi de la chanson : Camille, Balavoine ou Anne Sylvestre.
L. L. G. : Quels autres contes pourraient vous inspirer?
A. G. : J’aime beaucoup la dimension pédagogique des contes issus de la culture nordique ou japonaise. Il y a des contes très inspirants mais il est difficile de les transposer.
L. L. G. : Vous inspirez-vous d’ouvrages de littérature jeunesse?
A. G. : Je suis fan de Rebecca Dautremer depuis très longtemps et son imaginaire me convient bien. En 2016 elle avait dessiné les décors intemporels de notre Flûte enchantée, avec des cages que l’on retrouvait dans les costumes. Elle a aussi collaboré à notre adaptation de Madame Butterfly. Je me plonge souvent dans ses albums pour retrouver son monde onirique.