Pour la chanteuse Clair, le trublion Philippe Katerine écrit en 2022 une ode pop au bord de mer vendéen intitulée « Saint-Gilles-Croix-de-Vie ». En peu de mots et au moyen de seulement quelques accords s’y dresse un hypnotique décor balnéaire, où l’on (re)découvre la localité éponyme que l’auteur-compositeur connaît bien depuis son enfance en Vendée (s.a., 2024). Sortie d’abord en single puis deuxième titre de l’album La Maison magique (Clair, 2023), la chanson est incarnée par une artiste malicieuse pleinement dans le ton du label de Katerine dont elle inaugure le catalogue. À l’écoute de ce titre, on a l’impression d’intercepter une carte postale rétro, pleine de douce ironie, décrivant par allusions successives un lieu presque californien.
Si le rapprochement entre les deux « côtes ouest » peut paraître insolite, il permet pourtant d’élaborer une représentation évocatrice du territoire à l’honneur. En convoquant un imaginaire topique — souligné par la rime pauvre mais récurrente « Californie » / « Saint-Gilles-Croix-de-Vie » —, les paroles affirment que ce morceau de littoral ne mérite pas moins d’être idéalisé, voire mythifié, que celui qui sépare San Diego de San Francisco : « Si tu fermes les yeux, on est en Californie./ Si tu ouvres les yeux, on est à Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Et c’est bien aussi. » Certes, la météo y est moins clémente, et l’eau bien plus fraîche : « Le soleil est heureux de se cacher dans son lit » (0 min 37 s), « Le plus souvent il négocie ce que le vent lui dit » (0 min 55 s), « Suffit de s’allonger dans l’eau, on est déjà des héros » (1 min 03 s), rappelle à cet égard le parolier. Mais on y est bien, ce que souligne encore davantage le vidéoclip de la chanson, réalisé par Gaëtan Chataigner. En filmant sous différents angles la grande plage, les surfeurs, la mer, les habitants et habitantes et le coucher de soleil vendéens, la caméra du réalisateur joue avec les clichés pour mettre en valeur les lieux avec un humour constant.
La dimension parodique de la chanson surgit plus nettement dans sa représentation en images, ne serait-ce que dans les sourires de Clair et de Philippe Katerine (de leur première apparition à l’écran jusqu’à leur sautillante sortie au ralenti) et dans les poses caricaturales des autres personnages. L’appel rieur à la rêverie inscrit dans la chanson se mue ici en documentaire mi-ironique, mi-réaliste. La description reste néanmoins tendre; elle présente un pays où les gens sont peut-être moins musclés, mais les relations plus franches, et le règne de l’apparence considérablement moins hégémonique que sur la West Coast étatsunienne. Derrière la pochade, on ne manquera donc pas d’apprécier l’authentique portrait du territoire qui s’élabore sous nos yeux et surtout au creux de nos oreilles. Car c’est bien par la musique, finement arrangée par Louis Delorme, Gabriel Gosse, Victor Le Masne — devenu récemment directeur musical des Jeux olympiques de Paris 2024 —, Elisa Blanchard et Adrien Daoud, que cette chanson nous transporte en terres gillocruciennes. Le « groove » West Coast, figuraliste, fait naître la houle dans notre imagination. Autant que la voix de l’interprète, ce sont la guitare, les claviers, la basse, la batterie et les chœurs qui nous guident dans cette courte escapade sonore sur le rivage atlantique. Et derrière les clichés musicaux, on peut aussi entendre un hommage à Surfer Girl des Beach boys (1963) ou à Happy Together des Turtles (1967).
Associée à la voix d’une nouvelle « drôle de dame » — « Si tu fermes les yeux, tu vois c’est Farrah Fawcett./ Si tu ouvres les yeux, bah c’est ma tête. » (1 min 53 s) —, Saint-Gilles-Croix-de-Vie a donc désormais sa chanson, comme bien d’autres villes (Toulouse, Amsterdam et son port, New York…). Elle est de celles qui invitent particulièrement au voyage.