Lors d’un séjour à Londres, Nadia Myre amasse des petits cylindres de perles blanches qu’elle trouve dans le lit de boue de la Tamise à marée basse1. Au départ, elle ignore ce que sont ces perles. Elle les collectionne, un peu comme des coquillages, pour leur qualité esthétique. C’est par hasard, lors d’une discussion, qu’elle apprend qu’il s’agit de fragments de pipes européennes datant des premiers échanges commerciaux avec l’Amérique. Les Amérindiens font découvrir l’usage du tabac aux Européens, qui très vite en développent le commerce de façon extensive, comme ils le feront pour le sucre et le cacao. Le tabac est utilisé par les Autochtones comme monnaie d’échange avec les colons alors que le continent européen incorpore à ses mœurs l’habitude de fumer. En prenant conscience de l’histoire de ces premières pipes, Myre y décèle un symbole qu’elle transpose dans sa série Code Switching. C’est donc en s’inspirant des perlages autochtones qu’elle assemble les fragments de pipe trouvés, puis qu’elle les numérise pour en faire de grandes impressions, créant ainsi de saisissantes images qui rappellent inévitablement une esthétique ethnographique ou muséologique. Dans cette série, Myre dépouille consciemment les objets de leur sens; en les enveloppant d’ambiguïté, elle invite les visiteurs à réfléchir aux notions d’échanges culturels et de colonisation.
- 1. Ce texte est une version remaniée du texte de présentation de la série Code Switching que Geneviève Goyer-Ouimette a rédigé dans le cadre de l’exposition de Nadia Myre Tout ce qui reste/Scattered Remains présentée au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) du 15 novembre 2017 au 27 mai 2018. Code Switching a été produite au cours d’une résidence de l’artiste parrainée par le MBAM à la Fonderie Darling en 2016-2017.