[P]our faire montre de ses muscles ici, il convient d’abord de les développer systématiquement
avec poids et haltères autant pour les besoins esthétiques que pour les besoins impératifs
de la défense urbaine, principalement nocturne mais pas seulement.
Monique Wittig1
La violence peut détruire le pouvoir, elle est parfaitement incapable de le créer.
Hanna Arendt2
Récits de l’advenir féminin, respectivement Bildungsroman et épopée féministe, L’opoponax (1964) et Les guérillères (1969) de Monique Wittig peuvent se lire dans une forme de continuité logique, selon l’idée que le second texte radicalise la vision conflictuelle des rapports de sexe véhiculée dans le premier. De même que les personnages passent du statut d’enfant à celui de femme de l’une à l’autre œuvre, ils parviennent à briser leurs chaînes grâce à un usage de plus en plus réfléchi, efficace et vigoureux de la violence — une violence qu’ils s’approprient après l’avoir subie tant dans l’enfance que dans l’Histoire, tant dans le langage que dans leurs rapports quotidiens avec les hommes. Cet article se propose de retracer l’évolution de cette conception libératrice de la violence contenue en germe dans L’opoponax, puis aboutie à travers la mise en récit d’une épopée révolutionnaire dans Les guérillères, inspirée en grande partie par l’intensification de l’engagement féministe de Wittig après Mai 68.
Puisqu’il s’agira de s’intéresser à la violence comme praxis de subjectivation, c’est-à-dire à la manière dont les corps s’émancipent à travers la force, j’appuierai mes analyses sur le dispositif de défense théorisé par Elsa Dorlin dans son ouvrage Se défendre. Une philosophie de la violence (2017). En s’inspirant de la pensée foucaldienne, Dorlin y dresse une généalogie des traditions d’autodéfense politique à partir « du muscle plutôt que de la loi » (17). Sa perspective féministe et antiraciste l’amène à se pencher sur la manière dont certains sujets, tels les femmes et les Noirs, ont été construits comme « indéfendables3 » au fil de l’histoire. Aussi distingue-t-elle la défense, associée à toute forme de violence légitime agie par les corps dominants, de l’autodéfense, assimilée plutôt à une violence déployée dans un élan de survie par les corps dominés. Tenues de tout temps aux aguets dans une posture de proie, les femmes, on le sait, sont les premières spécialistes de la protection corporelle au sein de la société. Or, selon Dorlin, cette posture les réduit à un « état présubjectif » (17) dans lequel ne leur importe plus que leur autoconservation. Elle affirme en effet que les répliques autodéfensives des individus minoritaires ne comprennent « aucun sujet » en cela que « le sujet qu’[elles] défend[ent] ne préexiste pas à ce moment qui résiste à la violence dont il est devenu la cible » (17). Si les femmes de l’univers wittigien sont elles aussi astreintes à ces modalités sociales, elles n’apparaissent pas pour autant fixées dans une condition prédéterminée en matière d’action et de pouvoir. Je montrerai en ce sens comment Wittig problématise les frontières de la violence (il)légitime en mettant sous tension les possibilités de résistance dont disposent ses personnages : alors que les jeunes filles de L’opoponax évoluent dans et contre un système sexiste qui leur enseigne la passivité, les héroïnes des Guérillères développent un art complexe du combat, qui leur permet de renverser une fois pour toutes les effets mortifères du dispositif d’autodéfense féminin.
L’opoponax : une initiation à la violence
Sous un mode de narration associatif, qui rappelle l’esprit de l’enfant, L’opoponax raconte la vie d’une jeune fille de la maternelle à la fin de la scolarité. L’action narrative de L’opoponax prend donc essentiellement place dans un contexte scolaire, où l’on suit Catherine Legrand qui expérimente ses premières lectures, amitiés et amours sous l’œil toujours alerte des religieuses. Au nom de l’éducation, ces dernières n’hésitent pas à abuser de leur monopole de la violence légitime en l’exerçant sur les enfants avec excès. L’école est ainsi dépeinte par Wittig comme une institution qui, en même temps que d’ouvrir la porte aux plaisirs de la sociabilité, met brutalement fin à l’innocence infantile :
On se met à cheval sur le banc et on chante, maman les petits bateaux qui vont sur l’eau, en se penchant l’un vers l’autre pour faire le bateau. C’est comme ça qu’on ne voit pas déboucher ma sœur qui vient de donner le signal de la fin de la récréation et qu’on reçoit une gifle de chaque côté de la figure, ça résonne et la tête brimbale. (2018 [1964]: 10-11)
La rupture de ton dans ce passage évoque les premiers chocs vécus par les enfants à leur entrée au pensionnat, où toute forme d’apprentissage, tel celui de l’écriture, appelle une douleur du corps : « Il faut appuyer l’index de toutes ses forces sur le bout du porte-plume pour qu’il ne glisse pas. Le pouce également se presse au bout pour maintenir le porte-plume bien serré dans les doigts dont on ne peut plus se servir après. On a même mal dans tout le bras. » (33) Apprendre de façon scolaire constitue donc une épreuve pour le corps et pour l’esprit, tous deux domestiqués par une rigueur presque ascétique. Mais plus on avance dans l’intrigue, plus les enfants semblent s’acclimater aux pratiques qui leur sont enseignées :
On marche deux par deux. Il faut traverser toute la ville. On est en uniforme bleu marine. On a des chaussettes blanches. On a appris à marcher dans la cour de récréation pendant la gymnastique, on sait tourner à angle droit, on rattrape un pas comme si de rien n’était. On a ordre de ne pas rompre les rangs pour laisser passer les automobilistes. (149)
Le caractère militaire de la scène rappelle la formation dispensée dans l’armée, dont l’objectif consiste à modeler les corps des soldats par la discipline, à leur inculquer des manières de faire strictes et homogènes qui les suivront tout au long de leur vie à l’intérieur comme à l’extérieur de l’armée. Désignant tantôt un groupe, tantôt la personne de Catherine Legrand, le pronom indéfini « on » utilisé dans L’opoponax amplifie ici la dimension assujettissante de la parade en ce qu’il anonymise les individualités et supprime de la narration toute marque identitaire4.
Contrairement aux soldats, pourtant, les écolières n’apprennent pas à développer leur ténacité ni à entraîner leurs muscles au combat, mais sont plutôt contraintes à éviter toute situation potentiellement dangereuse. Lorsque Catherine Legrand se propose d’affronter le « fantôme » qui se cache la nuit dans la forêt, la réponse dissuasive que lui fournit Mademoiselle reconduit la croyance en une nature féminine faible et vulnérable : « Elle dit qu’un monsieur qu’elle connaît l’a vu. Mais alors le fantôme ne l’a pas sucé à la gorge? Non, il a eu le temps de se sauver parce que c’est un homme et qu’il n’a pas perdu son sang-froid. » (84) Un tel épisode narré montre bien comment la condition asymétrique du dispositif défensif se transmet dès l’enfance sous la forme des représentations les plus anodines5. Si Mademoiselle imagine le monsieur s’enfuir à la vue du fantôme, c’est justement « parce qu’il est un homme » et que seuls les hommes savent répondre correctement au danger, du fait de leur bon usage de la raison. Inversement, si l’on proscrit aux femmes les excursions solitaires à la noirceur, c’est moins à cause de la menace objective qu’elles y courent que de leur incapacité, le cas échéant, à y faire face. Ce raisonnement a évidemment tout du paralogisme. Car comme le fait remarquer Dorlin, c’est d’abord le désarmement de groupes et de corps spécifiques qui participe de leur mise en minorité en cela qu’il construit des catégories d’individus comme étant essentiellement sans défense. Ce processus de désarmement tire son pouvoir et sa force de la manière dont il présente son propre mécanisme de production comme naturel, de la même façon que le genre, tel que le montreront Wittig (2018 [1992]) et surtout Judith Butler (2005), s’imprime dans les corps et dans les consciences par divers procédés de naturalisation. Selon Dorlin, c’est ce processus insidieux qui trace dans le sens commun une ligne de démarcation « entre, d’un côté, des sujets dignes de se défendre et d’être défendus, et, de l’autre, des corps acculés à des tactiques défensives » (2017: 17). Ainsi, au lieu d’initier les jeunes filles à la culture physique, on leur en prive l’accès sous prétexte qu’elles n’y sont pas prédisposées.
Le problème que pose cette philosophie de l’éducation préventive ne se mesure véritablement qu’au moment où les fillettes quittent le cadre protecteur de l’école. Une fois plongées dans l’espace public, celles-ci se voient en effet confrontées aux agressions misogynes de tous les jours, lesquelles non seulement sollicitent souvent l’usage de la force, mais sont surtout provoquées par ceux-là mêmes à qui on autorise la puissance. Outre les différentes apparitions de personnages masculins hostiles au fil du roman (le vieillard vicieux [11], le mari violent [26-27], Monsieur Pégas avec son bâton [30-31], etc.), on retient la triade d’attaques que subissent Catherine et Véronique Legrand durant leurs vacances d’été :
C’est sur cette route que Catherine Legrand et Véronique Legrand se font attaquer. Il y a les oies en premier. […] Après les oies, il y a les chiens. […] Quand Véronique Legrand et Catherine Legrand prennent la route du haut du village il y a planqués en plus des oies et des chiens des garçons qui les attendent et qui leur sautent dessus avec des orties au moment où elles passent. Il faut se battre avec eux pour les leur arracher des mains autrement ils tapent avec ça sur les jambes et les cuisses de Véronique Legrand et de Catherine Legrand laissées nues par les culottes courtes. Ils sont en surnombre par rapport à Véronique Legrand et à Catherine Legrand, ce qui fait qu’on attrape de toute façon des tas de cloques partout on ne sait pas comment. C’est pour ça qu’on s’achète des couteaux de poche et qu’on passe par la route du milieu du village pour les surprendre […]. La mère confisque les couteaux parce que les garçons racontent tout à leurs parents. (105-107)
Cette scène semble retracer en accéléré l’entrée de l’enfant dans la socialisation, qu’on peut rapprocher d’une prise de conscience du danger au fondement des rapports intersubjectifs. Aux ennemis fantasmatiques infantiles, figurés ici par l’animal sauvage, puis par l’animal domestique, succède le véritable ennemi de la femme en société : l’homme malveillant. Comme partout dans son œuvre, Wittig refuse de brosser le portrait de femmes inactives et impuissantes. Les deux sœurs ripostent alors à leurs détracteurs, répondant du mieux qu’elles peuvent à l’impératif vital condensé dans la formule « Il faut se battre avec eux ». Néanmoins, l’auteur6 ne manque pas de souligner les contraintes extérieures qui amenuisent les capacités des filles à lutter. D’une part, leurs vêtements sont parfaitement mésadaptés au combat. Mis à nu par des « culottes courtes », des robes ou encore des jupes, le corps féminin civilisé apparaît toujours vulnérable aux désirs de l’autre, qu’ils soient érotiques ou violents. Aussi l’image des « culottes courtes » revient-elle en leitmotiv dans le texte (113, 127, 252), signalant chaque fois l’inégalité dont participent la socialisation genrée et les injonctions esthétiques érigées en lois par le patriarcat : « On ne met pas de pantalon quand on est une petite fille. » (18) D’autre part, les figures parentales introduites à la fin du passage agissent en conformité avec les méthodes d’intervention privatives de l’école : c’est la mère des enfants, dans l’incapacité de justifier leur recours au couteau, qui les désarme elle-même. Dès lors, deux forces sociales distinctes, l’une matérialisée dans le vêtement, l’autre incarnée par l’institution familiale, réussissent à enfermer de nouveau Catherine et Véronique Legrand dans le régime de l’autodéfense.
Comment donc venir à soi dans un système qui nous violente, mais qui nous interdit de violenter en retour; dans un monde qui ne nous laisse comme issue à une réalité dissymétrique que la peur perpétuelle? L’expression de l’agentivité chez les personnages de L’opoponax se révèle en ce sens rapidement marquée par une ambivalence entre reconduction et sublimation de la violence. À l’intérieur des murs du pensionnat, les jeunes filles reproduiront des gestes oppressifs de façon presque mécanique, voire sadique. C’est le cas par exemple lorsqu’elles soumettent la nouvelle élève Suzanne Mériel à une agression collective :
Suzanne Mériel bien qu’elle soit grande ne sait pas lire, elle ne sait pas écrire, Mademoiselle se moque d’elle. Alors elle dit quelque chose mais ce ne sont pas vraiment des paroles, ça ressemble à des pleurnichements faits d’une voix basse et grinçante. On la met toute seule à un banc. […] On l’attaque à coups de règle. On la frappe sur le dos et sur la tête. Elle fait le dos rond elle rentre la tête dans les épaules. Elle ne fait pas d’autre geste. On la bat plus fort. On entend la voix basse et grinçante qui sort d’elle sur un mode continu. On la bat. Les coups résonnent sur la tête, sur le dos. Toutes les règles de la classe s’abattent sur son dos, partout sur elle. On frappe en mesure, tout le monde à la fois, on crie. Elle se protège maintenant la tête de ses bras pliés, les coudes dépassent en avant de la figure frappés par les règles. La voix continue de sortir d’elle rythmée par les coups, basse, ténue. On rit. (47)
Suzanne Mériel devient ici l’objet d’une pulsion de groupe dont l’actualisation permet une forme d’affirmation de soi. Le processus de subjectivation s’étaye en effet en renversant une domination subie en domination exercée, une posture de défense en une posture d’attaque. De même, aussi primaire soit-il, le sadisme en cause se décèle à travers le rapport proportionnel qui lie la douleur de la gamine à l’énervement général : « Elle ne fait pas d’autre geste. On la bat plus fort. » Autrement dit, moins la proie se défend et plus se ravive le plaisir de la destruction, au point de générer le rire. Encouragés dans leurs gestes par la figure d’autorité sur place, laquelle lance la première pierre à Suzanne en l’humiliant pour son manque de savoir, les enfants introduisent dans les faits leur collègue à l’école, mais de façon pratique. C’est effectivement ce que semble signifier cette scène initiatique : pour s’intégrer à la structure scolaire, il faut d’abord apprendre le langage de la brutalité7.
D’un autre côté, comme le sadisme est indissociable du masochisme8, en dirigeant ce langage vers leur semblable, les fillettes s’infligent elles-mêmes une forme de violence, l’oppression étant pour ainsi dire introjectée par procuration. La hiérarchie sociale qui s’établit entre les pensionnaires de différents groupes d’âge donne lieu à des perversions du même type :
On est près des autres grandes. On entend une des voix qui dit, déshabille-toi. On obéit. Monique Despiaud enlève le slip qu’on a gardé. Monique dit, mets-toi à genoux contre le mur. On a peur. On se met à genoux. […] On sent une main sur les fesses mises à nu et vues. Une douleur aigüe un peu plus haut que l’anus est provoquée par un bâton ou un objet pointu quelconque qui peut être de métal. On ne crie pas. (54)
Conjuguant de nouveau violence et humiliation, cette scène d’intimidation apparaît comme le fruit des acquis scolaires du fait que la discipline héritée de l’éducation religieuse se transpose dans les rapports de force entre les jeunes filles. Nulle question pour Catherine Legrand de confronter l’ordre établi entre ses pairs. Plutôt, elle obtempère docilement à chaque directive transmise par une voix sans visage, une voix de pouvoir. Le « on » qui la désigne donne d’ailleurs l’impression d’un effacement de sa subjectivité derrière son acte d’obéissance, comme si la violence était ravalée, absorbée, intériorisée. On peut également déceler un sentiment de honte chez le personnage malgré, ou plutôt, en raison de la neutralité apparente de l’écriture. Car s’il est question de douleur dans cet extrait, c’est nécessairement parce que quelqu’un est là pour l’éprouver et en avoir conscience. Pourtant, la formulation passive et désincarnée du phénomène (« Une douleur est perçue ») n’évoque ni la personne souffrante ni la personne qui fait souffrir, de sorte que si la honte, pour le dire avec Sartre, émerge du fait de se sentir un « objet apparu à autrui » (1976 [1943]: 260), l’extrême vulnérabilité dans laquelle se retrouve la jeune fille, couplée à l’objectivation textuelle de son expérience, ne fait qu’exacerber son humiliation; nudité et honte se nourrissent ainsi l’une et l’autre, tel que le suggère l’assonance des « fesses mises à nu et vues ».
À l’extérieur du pensionnat, en revanche, les stratégies d’action adoptées par les enfants s’inscrivent dans des visées de subjectivation moins ambivalentes, qui consistent par exemple à sublimer la violence refoulée par l’intermédiaire du jeu :
Vincent Parme me dit que le plomb, c’est ce qu’il y a de plus facile à trouver et ce qu’il y a de plus facile à faire fondre comme métal. […] On veut s’en faire des armes. Ce n’est pas possible. Ou bien il faudrait prévoir un alliage pour remplacer le plomb qui est cassant, la main le tord, le fléchit, il n’a pas de rigidité. Mais on peut en faire des projectiles. Des sortes de boulettes ou des espèces de grenades. Alors on se l’envoie dessus chaud et mou ou on se l’envoie dessus froid et dur. C’est comme ça qu’on commence la guerre. Chacun a le choix des armes. Les deux armées ennemies se rencontrent dans la plaine. C’est là qu’il faut en finir. On est coincé d’un côté par la rivière de l’autre par la forêt. Il faut donc se battre. (110-111)
Cette longue section au cœur du récit expose de quelle façon l’imaginaire infantile peut réélaborer joyeusement l’agressivité de son environnement social. Les nombreux énoncés synthétiques (« C’est comme ça qu’on commence la guerre. », « C’est là qu’il faut en finir », « Il faut donc se battre ») accusent d’une forme de fatalisme : la guerre est inévitable, elle fait partie intégrante de la réalité. Il s’agit toutefois ici de se réapproprier le déroulement d’une bataille dans un espace privé, sorte d’espace sûr (safe space), où les enfants peuvent en dicter les conditions et les issues tout en cultivant leurs habiletés physiques, associées traditionnellement à la mètis, qui renvoie au savoir de l’action et de la survie9. C’est surtout l’approche ludique du combat qui préserve les personnages d’une reproduction stérile des schèmes d’oppression contractés dans le système scolaire.
Wittig met donc en place dans L’opoponax différents espaces de subversion des codes et des normes scolaires au sein desquels les jeunes filles peuvent apprendre à refaire leur monde autant par les mots que par les poings10. Bien sûr, leur usage de la violence apparaît peu ou pas conscient : elles s’en servent tantôt pour blesser gratuitement dans un élan pulsionnel primaire, tantôt pour exulter leur goût du jeu sans motif réfléchi. Il semble pourtant que la force de subjectivation que revêt la violence dans le roman provient moins des retombées concrètes du corps à corps que de son acte en lui-même, c’est-à-dire de la capacité du sujet féminin à apprivoiser son pouvoir d’action et par là même son agentivité. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que, malgré une réception majoritairement positive qui lui a valu le Prix Médicis, L’opoponax ait fait l’objet de critiques misogynes au moment de sa parution11 (Notéris, 2022: 30-32). Féministe en devenir — avant la lettre pourrait-on dire —, Catherine Legrand comprend rapidement qu’il vaut mieux, pour une femme, rassembler des armes avant de prendre part à la communauté humaine. On peut donc songer que les munitions que lui offre son premier amour lesbien à la fin du récit, des « balles de carabine cinq cinq » (249), lui seront utiles une demi-décennie plus tard lors de la grande révolution wittigienne.
Les guérillères : la grande révolution
L’imaginaire guerrier de Wittig, si palpable dès sa première œuvre, est poussé à bout dans Les guérillères, son deuxième livre, rédigé après Mai 68, qui se présente comme une virulente et universelle réplique au patriarcat. À travers une réinterprétation du mythe des Amazones — ces combattantes qui, dans l’Antiquité grecque, « luttent avec des armes et selon des modes de combats qui sont aussi ceux des hommes » et dont l’action « se veut civilisatrice » en temps de crise et d’anarchie (Poirson, 2020: 21) —, l’auteur imagine une communauté de « guérillères12 » — désignées par le pronom « elles » — se révoltant contre la domination masculine. Bien que la réforme du langage soit au cœur de leur révolution13, ces femmes se libèrent du joug patriarcal également grâce à la mise en branle de leurs muscles, trop longtemps astreints à la passivité. Rappelons d’ailleurs avec Bourdieu, que comme la violence symbolique se caractérise par son incorporation par les sujets dominés, toute révolution symbolique nécessite des pratiques de « contre-dressage » qui bouleversent à la fois les structures cognitives et les dispositions corporelles des individus14 (1992). Ainsi, chez Wittig, ce n’est rien de moins que l’action militaire qui ouvre la voie de leur émancipation : « Elles disent, que celles qui revendiquent un langage nouveau apprennent d’abord la violence. Elles disent, que celles qui veulent transformer le monde s’emparent avant tout des fusils. » (2019 [1969]: 116)
Alors que les fillettes de L’opoponax oscillaient sans cesse entre immobilité imposée, résistance défensive et désir d’action, les « guérillères », en déclarant la guerre aux hommes, se placent dans une posture radicalement plus opérante15. Au sein de la troisième partie du récit, qui concorde d’un point de vue temporel avec la première étape de leur révolte, les femmes éveillent leur corps à la lutte :
Leurs corps invulnérables, protégés par la matière ignifuge qui les revêt, qu’aucun impact de balle ne peut entamer, se tiennent rigides et immobiles. De loin on peut croire que ce sont de grands épouvantails debout dont le vent ne fait pas bouger les manches vides. Les assaillants approchent, surpris par leur immobilité. Les premiers sont fauchés par les balles tandis qu’elles se mettent à pousser des cris horribles. La deuxième vague d’assaillants reculent, décontenancés. (184)
Ce passage apparaît crucial, non seulement parce que le corps féminin y est reconnu dans toute sa puissance — la débâcle des hommes est en ce sens révélatrice —, mais surtout parce que cette puissance lui est intrinsèque : le corps devient lui-même une arme. Fusionner ainsi chair et machine permet à Wittig de développer une politique nouvelle de défense et d’attaque, qui, bien qu’elle tienne du fantastique, rappelle les effets politiques de la pratique du ju-jitsu sur les corps des suffragistes britanniques16. Prenant le parti de l’« action directe » et de l’« antinationalisme », ces femmes s’étaient confrontées physiquement au pouvoir masculin et policier lors du mouvement pour le droit de vote des femmes au début du XXe siècle. Elles avaient plus exactement développé « un art d’autodéfense “réel” parce que total : alliant pieds, mains, bâtons, techniques offensives et défensives à distance, rapprochées, au corps à corps » (Dorlin, 2017: 65). Dorlin consacre une section de son ouvrage à leurs stratégies militantes, expliquant qu’« [e]n libérant les corps des vêtements qui entravent les gestes, en déployant les mouvements […], en ravivant des muscles […], les militantes créent, modifient, leur schéma corporel propre — qui devient alors en acte le creuset d’un processus de conscientisation politique » (66-67). Autant dire que, plus que jamais, le personnel était devenu politique et vice-versa.
Intervient en ce sens l’importance du savoir mètis dans la révolution féminine. En effet, parce que la condition nécessaire à son déploiement est le besoin de « sauver sa peau », la mètis constitue en général l’expertise des dominés (femmes, guérilléros, colonisés) qui, pour survivre et espérer vaincre, doivent impérativement perfectionner leurs pratiques de combat. Dans son aspect technique, la mètis sert à la fabrication et à la maîtrise d’objets, de matériaux et d’outils, tels les projectiles conçus par les enfants dans L’opoponax ou les lance-fusées, les mitrailleuses et le curieux « ospah17 » (149-150) qu’emploient les femmes dans Les guérillères. Il faut noter sur ce point, que même lorsqu’il y a médiation objectale, les « guérillères » ont recours à des armes qui autorisent une liberté de mouvement correspondant à leur esprit révolutionnaire : « Les armes qui les intéressent sont portatives. Il s’agit de lance-fusées qu’elles portent sur l’épaule. C’est l’épaule qui sert de point d’appui pour tirer. On peut courir et se déplacer extrêmement vite sans perdre sa puissance de feu18. » (131) Cette spontanéité opérationnelle en appelle également à l’aspect tactique de la mètis, que Marilia Amorim désigne comme une « intelligence de la situation » (2011: 59). De fait, contrairement aux hommes qui forment des « armées massives » contraintes à la stabilité, les femmes font plutôt usage de ruse guerrière, ce qui assure leur parfaite adaptation à toutes les circonstances possibles :
Elles disent qu’elles sont concernées par la stratégie et par la tactique. Elles disent que les armées massives qui comprennent des divisions des corps des régiments des sections des compagnies sont inopérantes. Leurs exercices consistent en manœuvres marches gardes patrouilles. Ils ne donnent aucune vraie pratique du combat. Elles disent qu’ils ne forment pas au combat. Elles disent que dans ces armées on n’apprend pas le maniement des armes d’une façon efficace. Elles disent que ces armées sont des institutions. […] Dans ce contexte la stratégie consiste à faire des plans de campagne, la tactique des opérations d’avance ou de retraite. La stratégie alors vaut la tactique, toutes deux étant à court terme. Elles disent que dans cette conception de la guerre les armes sont difficiles à déplacer, les effectifs ne peuvent pas s’adapter à toutes les situations, la plupart du temps ils combattent en terrain inconnu. Elles disent que l’audace n’est pas ce qui les caractérise. (129-130)
Wittig différencie ainsi deux types de politique martiale : d’un côté, la politique institutionnelle des sujets légitimes, encadrée et — ipso facto — fragilisée par toutes sortes de structures établies; de l’autre, la politique insurrectionnelle des sujets illégitimes, fondée sur une logique d’autonomie. En somme, il s’agit pour ces derniers de miser sur le « principe de la défense-attaque » (Dorlin, 2017: 68), essentiel à la mètis de l’autodéfense. On reconnaît alors aux « guérillères » une forme d’intelligence qui, sans être exploitée à son plein potentiel, commençait déjà à s’éveiller chez les filles de L’opoponax, à force de jeux et de confrontations.
La phase de reprise de pouvoir par elles s’accompagne par ailleurs du plaisir de la vengeance, d’une « vengeance universelle » (166) qui plus est. Alors que les systèmes juridico-politiques dans les sociétés modernes tendent à priver le « sujet sans défense » de la jouissance que procure la faculté de « répondre à la violence par la violence » (Dorlin, 2017: 179), la sortie du cadre réaliste dans Les guérillères confère aux héroïnes la possibilité d’assouvir leur rage par la force et l’autojustice. Leur euphorie vengeresse transparaît à même la narration :
Elles menacent elles attaquent elles conspuent elles les invectivent elles les huent elles leur crachent à la figure elles les bafouent elles les provoquent elles les narguent elles les apostrophent elles les malmènent elles les brusquent elles leur parlent crûment, elles les exècrent elles leur font des imprécations. Une si parfaite fureur les habite qu’elles bouillonnent elles tremblent elles suffoquent elles grincent des dents elles écument elles flamboient, elles jettent feu et flamme elles bondissent elles vomissent elles se déchaînent. Alors elles les mettent en demeure elles les admonestent elles leur mettent les couteaux sous la gorge elles les intimident elles leur montrent le poing elles les fustigent elles leur font violence, elles leur font part de tout leur grief dans le plus grand désordre elles jettent çà et là le brandon de la discorde elles provoquent dissensions entre eux elles les divisent elles fomentent des troubles des émeutes des guerres civiles elles les traitent en ennemi. Leur violence s’est déchaînée elles sont au paroxysme de leur fureur, elles apparaissent dans leur enthousiasme dévastateur les regards farouches les cheveux hérissés […]. (162-164)
Cette litanie parataxique de verbes d’action appartenant au lexique de l’assaut traduit un mouvement de rupture avec tout ordre moral, ce que souligne le caractère bestial des « regards farouches » et des « cheveux hérissés » en fin de passage. Plus encore, le texte opère ici le renversement ultime annoncé dans son propos liminaire19 : c’est le corps masculin qui, à son tour, se voit condamné à un dispositif autodéfensif. Comme si la réalisation de l’égalité devait transiter par un échange de positions entre dominants et dominés, les proies se mettent désormais à chasser les prédateurs. Les soldats sont alors pris en otage :
Il se met à pleurer. Et elles disent que non, elles ne pourraient pas manger du lion du chien du puma de l’agneau de la girafe de la souris de la coccinelle du merle de la gibelotte. Elles disent, regardez-le ce mal jambé qui cache ses mollets de toutes les façons. Elles disent que c’est un gibier idéal. Elles disent qu’elles ont besoin de manger pour vivre. Il insiste encore en disant que l’homme est dépourvu de crocs de griffes de trompe de jambes pour courir. Il insiste en disant, pourquoi s’attaquer à un être dépourvu de défense? (135-136)
Ne reconnaît-on pas là une scène de L’opoponax sous une forme inversée? Les mollets dénudés, qui mettaient à mal la disposition au combat de Catherine et Véronique Legrand, font retour, mais incarnent cette fois le point faible de l’homme, devenu indéfendable. Par-delà leur accès à une posture offensive, les femmes se jouent de leur victime en abaissant sa valeur au-dessous de celle de l’animal. Elles adoptent et détournent également la rhétorique rationaliste par laquelle le sexe masculin tend à asseoir sa domination au sein du langage courant : si cet homme se fait attaquer, c’est simplement parce que les femmes « ont besoin de manger pour vivre », un besoin qui, aussitôt verbalisé, leur confère le droit de tuer. L’ironie atteint son paroxysme lorsque le « gibier » est lui-même forcé d’attester son impuissance : « Il insiste encore en disant que l’homme est dépourvu de crocs de griffes de trompe de jambes pour courir. Il insiste en disant, pourquoi s’attaquer à un être dépourvu de défense? » La question laissée sans réponse se retourne automatiquement vers son propre émetteur : et vous, hommes, n’avez-vous pas honte de nous maltraiter, de nous abuser et de nous violer depuis toujours, alors même que vous nous interdisez l’accès à la violence?
La violence exercée par les héroïnes au cours de cette épopée féministe, aussi extrême que spectaculaire, fait donc office de contre-violence, en réponse à une violence première qui leur imposait une place et un rôle subalternes dans l’ordre social. À travers la militarisation de leur corps et l’émergence de leur conscience politique, elles parviennent à se poser en sujets libres et égaux face aux hommes, qui finiront par capituler et se rallier à leur mouvement. On peut ainsi dire avec Dorlin que la formation de la stratégie d’autodéfense des personnages consiste à « s’enfoncer dans la trame de la réalité sociale de la violence pour y entraîner un corps qui est déjà traversé par la violence, pour déployer un muscle familiarisé à la violence mais qui n’a fondamentalement jamais été éduqué et socialisé à s’entraîner à la violence, à l’agir. » (2017: 199) Il serait par conséquent injustifié de voir dans l’œuvre une apologie de la violence à proprement parler, son usage demeurant tout à fait transitoire. Il ne s’agit pas en effet pour les « guerillères » de perpétuer la haine une fois la révolution accomplie, mais bien de s’autoriser les moyens de leur affranchissement : « Elles disent, on se trompe fort si l’on s’imagine que j’irai, moi, femme, parler avec violence contre les hommes, quand ils ont cessé d’être mes ennemis. » (2019 [1969]: 182)
Sujet de la violence
En empruntant au dispositif de l’autodéfense théorisé par Elsa Dorlin, j’ai tenté de mettre en lumière la genèse d’une praxis de la violence développée dans les deux premiers récits de Monique Wittig et qu’on retrouvera dans ses œuvres subséquentes. L’opoponax, qui explore l’expérience de l’enfance vécue en pensionnat, met en évidence la capacité des jeunes filles à se défendre au sein d’un système sexiste et autoritaire, qui les amène très tôt à créer des espaces de réélaboration de la violence environnante à travers des rapports ludiques et des rapports de force. Or, comme l’illustrent les nombreux allers-retours entre passivité, sadisme et action au sein du texte, le sujet féminin demeure somme toute pris au piège de l’idéologie dominante avec laquelle il doit composer pour survivre. Les guérillères, en revanche, met en scène un renversement complet : la possibilité d’attaque habituellement réservée aux hommes devient l’apanage des femmes. Le texte réalise ainsi la grande libération féminine tant espérée à l’époque de sa rédaction et pour laquelle luttera bientôt le Mouvement de libération des femmes (MLF) dont Wittig sera l’une des initiatrices au printemps 1970. Du premier au deuxième récit, on passe donc d’une violence autodéfensive, pulsionnelle et ambivalente à une violence offensive, conscientisée et intégrée à un projet politique d’égalité entre les sexes, dont l’avènement requiert l’usage de tactiques et de stratégies guerrières sophistiquées.
Dans Les Damnés de la terre, essai sur le colonialisme paru en 1961, Frantz Fanon soutenait que le « nouvel homme » surgirait d’une réappropriation de la brutalité coloniale par le colonisé (1968 [1961]). À la fois source de libération psychique à l’échelle individuelle et première roue d’un processus global de décolonisation, la violence prenait sous sa plume les contours d’une véritable « praxis révolutionnaire » (Lavergne, 2017). Dans les mêmes années, avant de revendiquer l’abolition des classes de sexe, Wittig faisait quant à elle reposer la venue de la « nouvelle femme », autonome et belliqueuse, libre et combattante, sur une appropriation et une resignification de la violence patriarcale intériorisée. Cette logique de renversement se perpétuerait dans les débuts de son action féministe, inaugurée par la publication de l’article collectif « Combat pour la libération de la femme », en 1970, dans L’Idiot international (Wittig, 1970). Par la radicalité de sa vision des luttes de contestation, Wittig s’inscrit en fin de compte dans une longue tradition philosophique mêlant subjectivité et violence, dans laquelle Hegel avait notamment pensé la formation du sujet à partir de la négativité, la venue de l’Être ayant obligatoirement partie liée avec la douleur et avec la lutte. Wittig aurait également pu endosser, même beaucoup plus tard dans sa trajectoire littéraire et militante, la célèbre formule marxiste selon laquelle « la violence est la sage-femme de l’histoire ».
- 1. WITTIG, Monique. 1985. Virgile, non, Paris : Minuit, p. 19.
- 2. ARENDT, Hanna. 1972. « Sur la violence », dans Du mensonge à la violence, trad. Gilbert Durand, Paris : Calmann-Lévy, p. 157.
- 3. Le terme « indéfendable » est entendu ici dans un double sens : ces individus sont indéfendables car ils sont en eux-mêmes sans défense, mais aussi parce qu’ils ne sont pas défendus par le système.
- 4. L’emploi du « on » dénote également une volonté de neutralité conceptualisable avec Benveniste, qui rapporte la « 3e personne » à la « non-personne » en comparaison aux pronoms personnels « je » et « tu » (1966 [1946]: 225-236). Émilie Notéris conçoit d’ailleurs ce choix pronominal dans L’opoponax comme une manière de « réconcilier expérience personnelle et expérience collective » (2022: 37), autrement dit, de rendre universelle une expérience de l’enfance dont certaines particularités sont inspirées de celle de Wittig.
- 5. À propos de la violence matérielle des représentations, Wittig écrira dans « La marque du genre » : « Le langage projette des faisceaux de réalité sur le corps social. Il l’emboutit et le façonne violemment. Les corps des acteurs sociaux, par exemple, sont formés par le langage abstrait aussi bien que par le langage non abstrait. Car il y a une plastie du langage sur le réel. » (2018 [1985]: 135)
- 6. Le masculin est employé selon la volonté de Wittig elle-même, qui voyait dans la féminisation une ratification de la marginalisation des femmes. (Voir « La marque du genre », 2018 [1985])
- 7. Pour le miner de l’intérieur également, si l’on suit la logique de renversement promue dans Les guérillères.
- 8. Les deux pulsions opposées ont été réunies par Krafft-Ebing dans le terme « sadomasochisme » à la fin du XIXe siècle avant d’être conceptualisées par Freud au début du XXe siècle. Voir Sexual Psychopathy. A Clinical-Forensic Study de Richard von Krafft-Ebing (2011 [1886]), de même que Trois essais sur la théorie de la sexualité de Sigmund Freud (1962 [1905]).
- 9. Déesse grecque de la ruse, Mètis désigne « une forme particulière d’intelligence, une prudence avisée » (Détienne et Vernant, 1974: 17). J’aborderai cette notion en détail dans la seconde partie de l’analyse.
- 10. Au sujet des enjeux de nomination dans L’opoponax, voir « “On dit qu’on est l’opoponax”. Invention lexicale, innommé, nomination » de Benoît Auclerc (2012).
- 11. Notéris attire notre attention notamment sur l’article réactionnaire de Robert Kanters, paru dans Le Figaro littéraire le 29 octobre 1964, dans lequel il reproche aux femmes comme Wittig de parler pour elles-mêmes, c’est-à-dire « sans passer par la médiation des hommes » (2022: 32).
- 12. Le néologisme « guérillère » est une combinaison du terme « guerrière » et du terme « guerilléros » féminisé.
- 13. La révolte des « guérillères » se déploie effectivement contre le régime de la représentation. Voir à ce sujet le travail d’Iraïs Landry et Louis-Thomas Leguerrier (2018).
- 14. Bourdieu définit la révolution symbolique comme une « action collective visant à rompre pratiquement l’accord immédiat entre [les] structures incorporées et les structures objectives » (1992: 149, je souligne).
- 15. Annabel Kim considère en ce sens que les effets de l’activisme de Wittig se multiplient de la rédaction de L’opoponax à celle des Guérillères, où l’on peut observer un éthos anti-patriarcal encore plus affirmé (2018: 80).
- 16. Pour rappel, le terme « suffragiste », au Royaume-Uni, a désigné le groupe militant pour le droit de vote des femmes. Le terme « suffragette » a quant à lui été employé dans l’espace public pour rabaisser les femmes engagées dans ce combat politique (Bijon et Delahaye, 2017).
- 17. Une arme qu’elles font tourner au-dessus de leur tête comme un lasso, mais qui a le pouvoir de demeurer invisible tant qu’elle n’entre pas en action.
- 18. Dans la même veine utopique, les « guérillères » se mettront plus tard, selon l’ordre temporel du récit, à chercher une arme immatérielle : « Elles disent que Danièle Nervi n’a pas encore déterré le couteau sans lame et dépourvu de manche. » (2019 [1969] : 30) C’est en fin de compte le langage qui leur en tiendra lieu.
- 19. « ELLES AFFIRMENT TRIOMPHANT QUE/TOUT GESTE EST RENVERSEMENT » (Wittig, 2019 [1969]: 7). Erika Ostrovsky considère d’ailleurs que le renversement, dans tous les sens du terme, constitue la clé de l’écriture wittigienne (1991: 3).