Dans le cadre des célébrations du cinquantième anniversaire de l’Exposition universelle de Montréal de 1967, Montréal et le rêve géodésique pose un regard neuf sur l’un des emblèmes du paysage montréalais : le dôme géodésique conçu par Richard Buckminster Fuller et Shoji Sadao pour accueillir le pavillon des États-Unis, le plus visité d’Expo 67.
Si l’anniversaire de celle que l’on nomme aujourd’hui la « Biosphère » est le point de départ de l’exposition, la commissaire invitée Cammie McAtee, ainsi que les deux commissaires associés Carlo Carbonne et Réjean Legault, nous proposent de revenir sur l’ensemble du « moment géodésique », qu’ils situent de la fin des années 1940 au début des années 1970. L’objectif annoncé est de souligner l’importance de Montréal et de sa région comme pôle d’innovation architecturale à cette époque. La métropole s’affirme comme le cœur de l’exposition, et ce, dès l’affiche à la typographie significative. Mais il s’agit également de contextualiser de tels projets au sein de l’esprit communautaire et utopique qui en a permis l’émergence. C’est la figure de Jeffrey Lindsay (1924-1984) et le déploiement de ses archives qui permettent aux commissaires de proposer un retour historique sur l’effervescence créatrice impulsée par les ambitions d’une communauté d’architectes montréalais gravitant autour des travaux de Buckminster Fuller.
L’espace de l’exposition s’organise en arc de cercle, autour d’un pan de mur noir qui accueille le visiteur par un bref retour sur le contexte et les objectifs de l’exposition. Sur les autres murs se déploie une frise chronologique où textes biographiques, explications techniques et photographies d’archives travaillent de concert pour décomposer l’événement en étapes : les différentes périodes du « moment géodésique », mais aussi les étapes de construction de chaque projet. Sont ainsi présentées les réalisations de Lindsay avec la division canadienne de la Fuller Research Foundation puis avec Jeffrey Lindsay & Associates; ensuite vient l’événement Expo 67, qui culmine avec le dôme de Buckminster Fuller et Sadao; l’héritage canadien de ces innovations vient conclure ce retour historique. Si l’organisation est chronologique, elle n’en est pas pour autant linéaire. En effet, le code de couleurs qui divise la frise en périodes fonctionne avec les tables réparties au centre de l’espace d’exposition. Ainsi, le visiteur est invité à naviguer constamment entre la bande murale et les maquettes et de nombreux documents d’archives présentés sur les tables. Diplômes, travaux préparatoires, livres, lettres, revues, instruments et photographies y rendent compte non seulement du travail de conception nécessaire à l’aboutissement de tels projets, mais également de la diffusion dont ils bénéficiaient alors. Autrement dit, le « rêve géodésique » s’incarne à la fois dans l’ambition motrice de l’innovation, mais également dans l’inspiration et l’enthousiasme que suscitent ces projets a posteriori.
L’angle tantôt historique, tantôt technique de l’exposition impose une profusion de textes explicatifs que le spectateur — même le plus docile — finira sûrement par sauter. Néanmoins, les commissaires ont su trouver le juste équilibre entre les dimensions humaines et techniques des constructions géodésiques, notamment grâce à une fine utilisation des archives photographiques. En effet, les photographies issues du Fonds Jeffrey Lindsay1 ont été réalisées par le designer montréalais en personne et nous révèlent ainsi son propre regard sur ces projets. Les clichés de Lindsay immortalisent les étapes de construction mais également ces instants où les individus font vivre les dômes. Qu’elle travaille à les construire, pose devant, les habite ou simplement les regarde, la communauté présente dans ces clichés redonne à ces projets aux allures futuristes leur dimension humaine. La recherche archivistique permet ainsi d’inscrire ces réalisations au cœur des aspirations qui habitaient leurs concepteurs. On regrette toutefois que les structures géodésiques ne soient pas davantage mises en contexte au sein de l’histoire et de l’effervescence architecturale d’une époque où la convergence du progrès technique et de l’essor économique catalysait les projets les plus ambitieux.
L’intention curatoriale semble être d’actualiser et non de fixer dans le passé ce « moment géodésique. » Les photographies grandeur nature, un certain nombre d’éléments de structure répartis dans l’espace (au sol, au mur et au plafond) et les constants allers et retours auxquels invitent l’organisation de l’exposition participent à mettre en place une expérience spatiale immersive, rendant hommage à la matérialité et à la structure même des dômes. Cette immersion culmine avec un prototype réalisé par les étudiants de l’UQAM : le spectateur est invité à y pénétrer à la fin de sa visite.
En embrassant le « moment géodésique » dans son ensemble, Montréal et le rêve géodésique célèbre non seulement la prouesse technique que sont les dômes géodésiques, mais également les acteurs québécois dont les ambitions ont rendu possibles ces innovations. L’exposition se conclut sur trois clichés en noir et blanc de Robert Duchesnay (artiste qui s'inspire de l’héritage architectural de Buckminster Fuller) et une photographie de la Biosphère de Montréal prise en juillet 2017 par Legault. Quatre clichés, donc, qui achèvent de rendre hommage à l’esthétique singulière des dômes.
- 1. L’exposition a été réalisée en collaboration avec les Archives d’architecture canadienne de l’Université de Calgary, où se trouve le Fonds Jeffrey Lindsay.