Par une remise en question de la propriété des images et de ses usages sociaux, nul ne peut nier le changement de paradigme de la photographie actuelle. Témoin de cette mutation, les propositions artistiques abondent en ce sens et laissent entrevoir une nouvelle manière de concevoir art et photographie. Il n’y a pas si longtemps, au Québec, le projet Bootleg (2013) de l’artiste John Boyle-Singfield a su pertinemment interroger ces transformations.
Bootleg a pris forme en 2012 lors d’une résidence d’artiste réalisée au centre Espace Virtuel à Chicoutimi. Boyle-Singfield décide alors que son projet consistera en la reproduction de l’ensemble des œuvres présentées en ce même lieu lors d’une exposition précédente. Avec l’aide d’outils de capture numériques accessibles à tous, sans soucis techniques ou esthétiques, l’artiste reproduit les diverses photographies et vidéos. Les cadrages approximatifs, reflets et flashs d’appareil photo font désormais partie intégrante des nouvelles reproductions. Dans cet esprit de détournement, pour les œuvres peintes, l’artiste va même jusqu’à envoyer ses images à une compagnie en Chine qui se spécialise dans la reproduction de peintures. Or, la présentation publique de Bootleg à Espace Virtuel n’aura jamais lieu. Informés des intentions de Boyle-Singfield par le centre, certains artistes « plagiés » témoignent d’un inconfort face à la reproduction de leurs œuvres. Tenant à l’intégralité de son projet, Boyle-Singfield prend néanmoins la décision d’accrocher la totalité des œuvres reproduites, mais empêche l’accès à la salle d’exposition en affichant un avis de fermeture sur la porte. L’entièreté du projet censuré à Espace Virtuel sera finalement présentée au public en 2014 à la galerie SAW (Ottawa), où l’artiste est invité à montrer son travail d’appropriation dans le cadre de l’exposition collective F is for Fake.
Tout en confrontant le spectateur à une réalité bien actuelle, soit le phénomène de la copie populaire à l’ère des nouvelles technologies, les œuvres de Bootleg remettent en doute l’ontologie de l’œuvre originale réappropriée et poussent le regardeur à s’interroger sur la valeur de la représentation devant laquelle il se retrouve. Boyle-Singfield réutilise les images qui sont à sa disposition pour leur donner une toute nouvelle fonction, de manière à créer une œuvre totalement autonome. Ainsi, à travers une approche contemporaine de l’art d’appropriation, il interroge, à sa manière, les préceptes de la vérité photographique.