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Section sous la responsabilité de
Jeremy Hamers
Lison Jousten
Frédéric Monvoisin
Dick Tomasovic
Karel Logist, Titre ES (2010)  
Dessin | 12 x 10 cm  
Avec l’aimable autorisation de Karel Logist  

Familiers de l’échec
des menues trahisons
et du revers des rêves
         bercés par les trauma
         les déceptions muettes
         et les coups bas du sort
                  fauchés par le sourire fourbe
                  de l’angoisse à la langue noire
nous prenons l’habitude
les traits et le parti de la mélancolie
         et de nos trajectoires brisées
         nous nous faisons un lit
         moelleux comme la vie.

*

Malgré les nevermore des lendemains de larmes, malgré le goût amer des rencontres passées,
contre l’espoir déçu — ce chien mouillé qui jappe en rongeant l’os vomi par ton dernier échec
malgré la solitude — exquise cavalière qui t’aura mis en garde et parfois consolé,
au mépris de ce poing qui frappe dans le vide quand ta peau est à vif et que saignent tes jours
sourd à la raison triste comme aux lèvres amies
parce que tu préfères l’aventure au regret
et même si hélas à la fin tu te lasses de ton anthologie de brèves cicatrices
tu t’es encore laissé guider par les hasards prolixes du présent où tu danses ta vie.

*

Longtemps, tu l’emportais sans lutte. Tout marchait bien pour toi. Tes doutes? D’autres en portaient la croix. Ta route filait sans embûches dans les virages brusques de paysages choisis. Tes navires pavoisés de drapeaux de fortune commandaient au destin; tu passais pour champion dans les catégories que tu avais élues. Même tes amours d’un soir arboraient des tatouages provisoires que tu effaçais au matin. Ton parcours exemplaire t’ouvrait toutes les portes et forçait l’adhésion. Longtemps, tu as soumis la machine du sort aux mouvements complexes de tes moindres désirs. Mais aujourd’hui, tu pleures en arpentant la dune parce que tu ne retrouves pas l’infime grain de sable qui gangrena cet engrenage.

*

À la table d’un café
au soleil d’un lundi
j’ai prêté ton poème
— que je trouvais très beau —
à une amie
Puis je ne les ai
comme si le printemps
les avait engloutis
hélas jamais revus
ni ton poème ni ce café
ni cette table ni ce soleil
ni ce lundi ni cette amie
— que je trouvais très belle —
Il arrive souvent
que les choses me fuient
et les personnes aussi
pour ne plus revenir
dès que je les partage
Je dois en tenir compte
et reprendre confiance
en l’avenir si je veux
avancer plus serein
dans le temps qui me reste
Je ne suis pas inquiet
Tu ne m’en voudras pas
Nous en écrirons d’autres
meilleurs que celui-là
meilleurs que celui-ci.

*

J’ai des hauts et des bas qui passent comme une buée sur un miroir sans tain. Comme tout le monde, me dit-on. Les hauts me débordent souvent et je n’aime pas m’en souvenir. Les bas, je ne les montre qu’à des inconnus de passage quand l’ours bipolaire qui me hante fait son miel de bonnes fortunes. La plupart des jours, je m’ennuie, de moi et des amis que j’ai perdus de vue, et je cherche à me rappeler les rêves insaisissables mais chroniques dont je nous faisais le récit. Ce qui ne monte pas descend, me dit-on, et j’apprécie les pentes qui me rapprochent de mon seuil. J’essaie de m’y maintenir, à mon humble niveau, dans un équilibre qui libère, en me défiant des sommets. Je ne crois plus aux ascenseurs ni aux technologies de l’âme qui raccourcissent des distances dont je ne connais pas l’usage. Je suis souvent absent, loin des ailleurs promis, aux prises avec le temps et tout près de tomber. Les peintres japonais, dit-on, travaillent toujours au ras du sol.

*

Arrive un âge où chacun sait deux ou trois choses de soi-même qu’il serait naïf de vouloir éluder ou modifier. Dans mon cas, la première, c’est ce regret tenace d’avoir dû renoncer à ma vocation d’avaleur de sabres, de feu et de couleuvres, quand j’étais promis à un bel avenir circassien. La deuxième, c’est cette hypermnésie qui me condamne à me rappeler chaque minute de mon histoire, chaque parole entendue et chaque visage vu à un tel point que j’aurais pu devenir un policier d’élite, un politicien mémorable ou un confident sûr. La troisième, c’est cette irrésistible propension à toujours vouloir mystifier mon entourage dans le but d’attirer l’attention sur mon individu, bavard et réflexif.

*

Je voudrais bien parler
d’oiseaux dans un poème
mais je n’en connais pas
à part bien sûr les étourneaux
qui défèquent non loin de moi
quand je prends un café
place Delcourt en terrasse
et qui font en hiver
des valses prodigieuses
dans un ciel où ils écrivent
leurs nuées de murmuration
pour dire qu’ils ne s’absentent
jamais pour bien longtemps
comme d’ailleurs mes amis
dont j’aimerais bien aussi
parler dans un poème
Je demande l’indulgence
au lecteur qui attend
autre chose de ma plume
que ces évocations
d’excréments volatiles
et d’amitiés perdues
Il y a mille autres sujets
qui vaudraient un détour
par la littérature
mais je ne les sais pas.

*

Je ne suis pas souvent des vôtres. Je simule, devant la nostalgie et devant la beauté. Et cela vous l’aviez sans doute remarqué, en me trouvant — merci — toutes sortes d’excuses. Je ne suis pas à la fête quand nous rions, ni triste quand vos yeux versent de chaudes larmes. Je me sens étranger à vos cérémonies, à vos forts appétits ainsi qu’à vos colères. Pour répondre aux invitations de l’existence, je m’invente un désir confus de vie sociale d’où je sors épuisé comme après un combat. J’ai longtemps pratiqué ce sport extrême de paraître, contre vents et marées, votre contemporain. Mais mon corps m’avertit que l’endurance s’use. Je quitte sans regret les lieux de nos partages.

Pour citer

LOGIST, Karel. 2024. « Ctrl-Alt-Delete », Captures, vol. 9, no 1 (mai), section contrepoints « Syncopes ». En ligne : revuecaptures.org/node/7569/