Loading...
Section sous la responsabilité de
Nathalie Vincent-Arnaud

Ce n’est pas sans surprise que l’on découvre dans la bibliographie d’un récent ouvrage publié par la très sérieuse Société française de musicologie (Demonet, 2021) Une histoire de la musique (1969) de Lucien Rebatet1. Cette histoire de la musique apparaît fort éloignée des critères qui prévalent généralement dans la sélection des références bibliographiques destinées à illustrer le contexte et les ressources de toute étude scientifique. Du reste, comme l’indique son auteur dans l’avant-propos (Rebatet, 1969: 7-11), il ne s’agit pas d’une histoire de la musique, mais bien d’un livre intitulé Une histoire de la musique et dicté par sa propre subjectivité. Rien d’original, en somme. Mais comment expliquer que cette histoire de la musique soit prise pour ce qu’elle n’est pas, et soit toujours éditée et disponible dans les librairies, en l’absence, qui plus est, de toute référence au pedigree de son auteur? Connu pour ses critiques musicales, mais surtout pour ses diatribes antisémites dans la presse collaborationniste de l’Occupation, condamné à mort à la Libération, Rebatet voit la sentence commuée en travaux forcés à perpétuité en 1947, puis amnistiée en 1951. Au soir de sa vie, il livre une vision de la musique moins historique que personnelle et dominée par deux traits.

Couverture de Une histoire de la musique (2011)  
Lucien Rebatet, Une histoire de la musique, Paris : Robert Laffont, 2011 [1969], 826 p.  

L’antisémitisme est assurément le premier d’entre eux. S’exprimant moins librement après la Seconde Guerre mondiale, il prend la forme sournoise d’un recensement méthodique des compositeurs considérés comme juifs. On en compte vingt-et-un dont la brève présentation biographique se singularise par l’évocation de l’origine familiale. Paradoxalement, Rebatet ne fait pas une lecture antisémite de l’histoire de la musique et ne cache pas son admiration pour certains de ces compositeurs. La deuxième caractéristique est l’approche iconoclaste de l’histoire de la musique qui apparaît, à la fin de l’ouvrage, comme un champ de ruines. Une histoire de la musique est à cet art ce que Les décombres (1942) avaient été à la société française pendant la Seconde Guerre mondiale. Rebatet décrivait dans cet ouvrage à succès un pays affaibli par le comportement de sa classe dirigeante et par une vulnérabilité ne pouvant que conduire à la défaite de juin 19402. Dans son histoire de la musique, les anathèmes se succèdent et l’on sent l’auteur très à son affaire dans cette entreprise inquisitoriale.

Hormis ces effets de style, Une histoire de la musique laisse apparaître une pensée musicale moins originale qu’il n’y paraît. De plus, fondée sur le nationalisme, l’épicentre wagnérien et l’évolutionnisme, elle ne fait pas preuve d’une grande cohérence. La lecture nationaliste de l’histoire de la musique que nous offre Rebatet n’est effectivement pas nouvelle et l’on en retrouvera les traces dans la plupart des écrits musicographiques du XIXe siècle. Selon cette lecture, la musique est une affaire d’écoles nationales ou d’expressions artistiques clairement identifiées et homogènes qui coexistent et occupent une position dominante par alternance. Rebatet la teinte d’une note de racisme qu’illustre la présence répétée et totalement extraordinaire des mots « race » et « sang » dans une histoire de la musique — à l’exception de celles publiées en Allemagne pendant le régime nazi. Avec ces dernières, l’ouvrage de Rebatet partage aussi la centralité de l’œuvre de Wagner. Celle-ci y occupe le chapitre le plus développé et y apparaît presque à l’exacte moitié du livre. Mieux, Wagner est considéré comme « le plus grand accélérateur de l’histoire musicale » (Rebatet, 1969: 364). La musique prend avec lui une nouvelle dimension, quittant la longue période marquée par la lutte entre les écoles nationales pour s’inscrire dans l’évolutionnisme porté par la jeune génération sur le devant de la scène musicale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les références à Pierre Boulez (le principal représentant de ce courant) sont nombreuses. La matrice nationaliste laisse sa place à une vision internationaliste de la musique et à l’évolution post-tonale de son langage.

À l’issue de sa lecture, il n’est pas inutile de se demander si Une histoire de la musique peut être mis entre toutes les mains. Pour le moins, on pourra s’accorder à dire qu’il n’est ni nécessaire ni opportun de promouvoir cette histoire de la musique tout aussi revisitée que révisée.

  • 1. Pour une étude plus détaillée de cet ouvrage, on pourra consulter « Faut-il mettre au pilori l’histoire de la musique de Rebatet? » (Simon, 2019).
  • 2. Les Décombres ont récemment fait l’objet d’une réédition scientifique (Rebatet, 2015).
Pour citer

SIMON, Yannick. 2023. « Lucien Rebatet. Une histoire révisée de la musique », Captures, vol. 8, no 1 (mai), section contrepoints « Résonances ». En ligne : revuecaptures.org/node/6864/

,
Rebatet, Lucien. 1969. Une histoire de la musique. Paris : Robert Laffont/Raymond Bourgine, 669 p.
,
Rebatet, Lucien. 2015. Le dossier Rebatet. Les Décombres. L'inédit de Clairvaux, édition établie et annotée par Bénédicte Vergez-Chaignon. Paris : Robert Laffont, 1576 p.
,
Simon, Yannick. 2019. « Faut-il mettre au pilori l’histoire de la musique de Rebatet? », dans Créer, jouer, transmettre la musique de la IIIe République à nos jours, mélanges pour Myriam Chimènes. Paris : Centre de documentation Claude Debussy, p. 181-190.
Aucune lecture connexe disponible.