Éric Poitevin revisite à travers ses photographies différents genres de l’histoire de l’art, en particulier ceux de la nature morte et du portrait. Il photographie, dans son studio, le cadavre de certains animaux qui lui sont apportés par des voisins, des passants ou des chasseurs, juste après le coup de fusil dans une réserve naturelle ou l’accident sur le bord d’une route. L’artiste propose un regard singulier, silencieux et épuré sur le corps inanimé de l’animal représenté.
Dans ses photographies, le cadrage et la mise en scène donnent à voir une nature morte sans décors ni ornements. Disposée sur un fond blanc et monochrome, la forme animale constitue le motif unique et central de la représentation. L’absence de tout artifice décontextualise la bête et renforce sa présence esseulée au sein du cliché. La surface de l’image sert ainsi de linceul à la figure animale. Son apparition, qui participe de la composition de l’image photographique, fait inversement écho à la décomposition à venir du corps et à sa disparition progressive dans le réel. La vie de l’image nous dit la mort du corps animal.
Le poids des dépouilles, la densité de la matière et les ombres semblent se dissoudre dans ces espaces éthérés baignés de lumière. L’opacité et la texture du corps animal – poils, plumes, chair — contrastent avec la luminosité immatérielle du reste de l’image. La figure animale est en suspension dans les photographies de l’artiste. Certains oiseaux, comme le pivert, la merlette ou la chouette effraie, sont littéralement suspendus à l’extrémité d’un fil. De plus, la figure animale — par sa force plastique —suggère figurativement un certain effet de flottement dans le cadre de la composition, à l’instar du cerf dont le corps repose sur un socle blanc, lui-même inséré dans un espace aux contours flous et indéterminés.
Les photographies animales d’Éric Poitevin attestent d’un passage entre le temps littéral de la présentation et celui du corps en métamorphose. L’artiste photographie les dépouilles parfois encore tièdes dans cet instant qu’il considère comme une transition, un espace-temps entre la vie et la mort. Les clichés sont également une commémoration, celle de la rencontre fugace entre le spectateur et l’animal qui serait, en temps normal, dans son cadre naturel, et celle de la fragilité des corps (re)présentés. La confrontation entre ces différentes temporalités est renforcée par la présence physique des photographies, dont les dimensions imposantes produisent un effet de corps à corps avec le spectateur. L’œil s’arrête, le temps d’un (dernier) souffle.