Publié chez l’éditeur de livres de photographie et d’art Trans Photographic Press, le premier album pour enfants d’Yveline Loiseur (2013) s’empare du conte bien connu de « La petite fille aux allumettes » (Andersen, 1845). Chez ce conteur, le tragique du récit est toujours compensé par l’espoir chrétien d’une autre vie, mais des générations de lecteurs ont été bouleversées par le sort de la fillette morte de froid et de misère dans la rue, la nuit du Nouvel An. Yveline Loiseur déclare avoir eu le projet d’actualiser la question de la précarité (s.a., 2021: 6 min 16 s). Le dispositif qu’elle met en place se démarque de l’iconographie sulpicienne qui entoure habituellement ce conte. Malgré la sombre image de couverture qui cadre un coin de rue, la nuit, sur un fond noir constellé de flocons, le titre et le nom de l’artiste, en rouge et orange, annoncent le chromatisme des gardes en aplat et la tonalité qui s’imposera dans l’album. Fidèle à la trame du conte source, Yveline Loiseur propose une version réduite du texte, en face d’images à fond perdu qui attirent le regard du lecteur vers la belle page.
Les quatorze photos présentées suivent les étapes du récit tout en invitant à une prise de distance propre à contenir les effets pathétiques. Ainsi, on s’amuse plutôt du gros plan sur les charentaises à carreaux abandonnées sur la glace ainsi que de l’étonnante maquette aux couleurs éclatantes qui ressemble si peu à la masure décrite par Andersen. L’alternance des photos en noir et blanc et en couleur montre tour à tour l’enfant craquant ses allumettes et les visions nées de la contemplation de leur flamme. Les choix de représentation ménagent un écart salutaire entre la situation décrite et les photographies de l’artiste. Silhouette quasi abstraite dissimulée derrière la transparence d’un rideau, la comédienne en herbe qui joue le rôle de la protagoniste se profile sur fond gris, puis orangé, au fur et à mesure qu’elle frotte ses allumettes. Pour traduire ses hallucinations colorées, Yveline Loiseur recourt à tout un matériel qui convoque les jeux de l’enfance : des papiers découpés rouges et jaunes matérialisent la chaleur du poêle; le sapin de Noël — réduit au format d’un accessoire de plastique — et la grand-mère — figurine de carton naïvement dessinée et coloriée — sont tenus en main par des comparses, comme au théâtre de marionnettes. Au dénouement, le petit tas d’allumettes consumées baigne dans une chaude lumière tamisée par un rideau de dentelle. Dans le jeu du texte et de l’image, l’émouvante beauté du conte subsiste, adoucie et comme apprivoisée par l’originalité, l’humour et la délicatesse des photographies, qui servent l’histoire sans peser et sans la trahir. Les artifices de la composition se placent au service de la transmission du conte : en se rapprochant de l’univers du jeune lecteur, ils savent aussi bien l’émouvoir que lui donner à penser.
