Elle qui ne se voit pas on la
voit ainsi, dans les autres. C’est là
la toute-puissance de cette matière dont
elle est faite, sans port d’attache singulier.
Marguerite Duras1.
Un enfant mort, un auteur de lettres anonymes, une mère suspectée d’infanticide, un juge inexpérimenté, des preuves perdues, deux clans : les Villemin et les Laroche, une vengeance assassine. Pour le dire avec l’écrivain et essayiste Philippe Villain, l’affaire Villemin (aussi appelée l’affaire Grégory) est « une fiction à laquelle il manque son auteur » (2006: 56). Il en va ainsi du fait divers qui « semble comme déjà “mis en récit” par la réalité elle-même » (Hamon, 1997: 11). Je m’intéresserai dans cet article à deux appropriations littéraires de ce fait divers, soit le roman L’enfant d’octobre de Philippe Besson et la lettre ouverte « Sublime, forcément sublime Christine V. » de Marguerite Duras publiée dans le journal Libération. Il s’agira de présenter la spécificité de ces textes à l’égard de l’événement auquel ils se réfèrent, en me penchant également sur l’éthos des auteurs impliqués. Je tenterai de montrer selon quelles modalités ces deux textes se jouent poétiquement d’un événement fortement judiciarisé et médiatisé durant plus de trente ans.
Les événements2
Gregory Villemin, un enfant de quatre ans, est retrouvé mort le 16 octobre 1984 dans une rivière à six kilomètres du domicile familial, pieds et mains liés. Le lendemain du drame, les parents (Christine et Jean-Marie Villemin) reçoivent une lettre d’un auteur anonyme revendiquant le crime — le « corbeau » leur envoyait des lettres de menaces et des appels téléphoniques depuis trois ans déjà. Les premières expertises graphologiques identifient Bernard Laroche, un cousin de Jean-Marie, comme auteur de ces lettres et comme potentiel meurtrier; sa belle-sœur âgée de quinze ans, Murielle Bolle, témoigne avoir été avec lui dans la voiture au moment où il serait passé prendre le petit Gregory à Lepanges-sur-Vologne. Quelques jours plus tard, la jeune femme se rétracte — on ne saura jamais si elle avait tenu son premier témoignage sous la pression des gendarmes, comme elle l’a prétendu à l’époque, ou si elle s’est plutôt dédite sous la pression de sa famille, ce qu’elle nie encore aujourd’hui. D’autres analyses graphologiques font ensuite de Christine Villemin une nouvelle suspecte et elle se voit inculpée à son tour durant quelques jours. Deux mois après sa sortie de prison, Bernard Laroche est tué d’un coup de fusil par Jean-Marie Villemin, qui croit alors se faire justice.
L’affaire est reprise en 1987 par la cour d’appel de Dijon. En 1993, la mère bénéficie d’un non-lieu : aucune preuve crédible ne l’incrimine, mais l’idée aura fait son chemin dans l’imaginaire collectif. Le père est quant à lui condamné à purger cinq ans de prison pour le meurtre de son cousin. Trente-quatre ans plus tard, l’identité du meurtrier n’a toujours pas été établie. Dans les années 2000, à la demande des parents, l’enquête a été rouverte à de nombreuses reprises. Grâce aux avancées scientifiques et technologiques, on aura tenté de trouver le coupable à partir de nouvelles analyses : analyses de l’ADN sur la salive d’un timbre poste, sur la cordelette ayant servi à attacher l’enfant, sur un cheveu trouvé sur ses pantalons; analyse d’un enregistrement audio de la voix du corbeau. Celles-ci n’ont finalement rien donné. En 2017, à l’aide du logiciel d’analyse criminelle Anacrim, de nouveaux suspects sont identifiés et mis en examen (Marcel et Jacqueline Jacob3) et l’affaire envahit de nouveau les médias.
Les livres
Voici donc un aperçu forcément parcellaire de ce que Patricia Tourancheau appelle le « [f]ait divers le plus retentissant de la seconde moitié du XXe siècle » (2018: 9). En plus de tous les articles et reportages qui ont été écrits sur l’affaire, on compte plus d’une dizaine d’ouvrages qui y sont consacrés et dans lesquels différents acteurs désirent partager leur point de vue sur l’affaire, leur vérité.
Pour tenter de rétablir leur image publique, les parents du petit Grégory ont ensemble, avec l’aide d’un éditeur, publié un témoignage intitulé Le seize octobre (1994), auquel s’ajoute un autre texte, celui-là signé par la mère, intitulé Laissez-moi vous dire (1986)4. Pour plaider l’innocence de son mari, la femme de Bernard Laroche a quant à elle publié Les larmes oubliées de la Vologne (2009), vingt-cinq ans après le meurtre de Grégory Villemin. De son côté, le juge Jean-Michel Lambert propose sa version des faits dans un ouvrage intitulé Le petit juge (1988) — suivant le surnom qui lui était accolé dans les médias —, peu de temps après que l’affaire a été reprise par la cour de Dijon. Il revient aussi sur le meurtre de Laroche dans De combien d’injustices suis-je coupable? (2014). Entre temps, Lambert a publié une dizaine de romans policiers. C’est peu dire que la réalité rejoint ici la fiction : l’homme a été retrouvé mort à son domicile, suicidé5 avec un sac de plastique sur la tête à l’instar du professeur Chabert, personnage de son roman Témoins à charge (2017), publié deux semaines après sa mort, dont la description rejoint celle de son auteur : « Le cliché représente un sexagénaire aux cheveux blancs drus, le regard bleu ciel pétillant d'intelligence derrière des lunettes à fine monture dorée, les lèvres minces esquissant un sourire empreint de bonté. » (Lambert cité par Conruyt, 2017.)
Du côté juridique, on compte un livre signé par celui qui était le chef de la police judiciaire au moment de l’affaire (Corazzi, 2003), deux autres par des avocats de la famille Laroche (Prompt, 2007; Welzer, 2018) et un autre par le capitaine de la gendarmerie à l’époque (Sesmat, 2006). Tout récemment, la journaliste Patricia Tourancheau a publié Grégory. La machination infernale (2018) afin de rendre compte de l’histoire jusqu’à ses récents développements de 2017. D’autres journalistes ont fait entendre leur voix : Denis Robert dans Au cœur de l’affaire Villemin : mémoires d’un rat (2006) et J’ai tué le fils du chef (2018), Christophe Hondelatte dans L’assassinat du petit Grégory (2004) ainsi que Laurence Lacour dans Le bûcher des innocents (2006).
Ce dernier ouvrage (accompagné du témoignage de la mère) a aussi servi à scénariser un téléfilm de six épisodes diffusé sur France 3, L’affaire Villemin (Peck, 2006), qui ne fournit pas tous les vrais noms, mais manifeste un désir assez impressionnant de reproduire la réalité, ne serait-ce que par le choix des acteurs. On reconnaîtra dans cette série la version défendue au départ par les parents Villemin, en tant qu’il est suggéré que Bernard Laroche est le coupable du meurtre; sa famille a d’ailleurs poursuivi les diffuseurs pour violations de la présomption d'innocence, de la vie privée et du droit à l’image6. Sans entrer dans le détail des multiples poursuites qui ont eu cours, signalons que la représentation de cette affaire dans le registre de la fiction pose plusieurs questions, soulève des levées de boucliers et se trouve soumise à des contraintes juridiques qui en déterminent l’expression.
En 2006, l’année de la diffusion du téléfilm sur France 3, est publié le roman de Philippe Besson L’enfant d’octobre chez Grasset et republiée la lettre « Sublime, forcément sublime Christine V. » de Marguerite Duras aux éditions Héliotrope, au Québec, préfacée d’un texte de Catherine Mavrikakis — sur lequel je reviendrai. Parmi tous les textes portant sur l’affaire, ceux de Duras et de Besson sont les seuls à posséder une vocation explicitement littéraire. Ces textes « dérangent », car ils cherchent à établir une vérité qui n’est pas la vérité judiciaire7.
Sublime, forcément sublime Christine V.
« Il n’y a pas de journalisme objectif. Je me suis débarrassée de beaucoup de préjugés, dont celui-là qui est à mon avis le principal. De croire à l’objectivité possible de la relation d’événement » (Duras, 1984: 11). C’est dans ces mots que Duras remet en question, en avant-propos de Outside, l’objectivité réclamée par les journalistes. « Sublime, forcément sublime Christine V. » (2006 [1985]) ne constitue pas sa première incursion dans l’actualité; trois recueils (Outside, Outside 2, L’été 80) rassemblent ses textes publiés dans différents journaux. L’écrivaine n’en est pas non plus à son premier « rapt du réel8 » (Fabbri, 2010: 154); de ses œuvres inspirées de faits divers, on compte par exemple Moderato cantabile (1958), Les viaducs de la Seine-et-Oise (1960) et L’amante anglaise (1967). Le texte « Sublime, forcément sublime Christine V. » a ceci de différent qu’il porte sur l’enjeu particulièrement sensible de l’infanticide. En faisant entendre sa voix peu de temps après les événements, dans un journal, de surcroît, l’écrivaine avait le pouvoir de modifier l’opinion publique à l’endroit de Christine Villemin, et son sort du même coup. Dans le téléfilm L’affaire Villemin, on présente d’ailleurs le meurtre de Bernard Laroche (nommé Bernard Longuet) comme étant en partie provoqué par les médias et les journalistes, qui auraient réussi à convaincre Jean-Marie de la culpabilité de son cousin9. Si la fiction se saisit de la réalité, il y a bien un mouvement inverse qui s’opère et que la fiction elle-même cherche à représenter.
Dans le texte que Duras publie seulement neuf mois après les événements, alors que Christine Villemin bénéficie toujours de la présomption d’innocence, l’écrivaine entremêle l’affirmation et l’hypothèse, la croyance et la certitude, la vue et la vision, le je et le on. Elle s’empare de cette histoire fortement médiatisée et l’aborde avec sa prose habituelle : « L’enfant a dû être tué à l’intérieur de la maison. Ensuite, il a dû être noyé. C’est ce que je vois. C’est au-delà de la raison. Je vois ce crime sans juger de cette justice qui s’exerce à son propos. » (Duras, 2006: 44.) On aura souvent souligné que Duras accuse Christine Villemin sans la juger; c’est en glorifiant la femme que Duras porte atteinte à sa réputation. « Mettre ce crime sur le marché du crime, c’est impossible. Elle le sait, elle, la mère. » (53.) À partir du personnage médiatique qu’est devenue Christine Villemin, Duras pense et invente une « Christine V. », femme soumise à la domination d’un homme :
Je crois voir qu’il dresse sa femme selon son idée et qu’il prend à ce dressage un plaisir grandissant, un certain désir. Quand la loi du couple est faite par l’homme, elle englobe toujours une sexualité obligée par l’homme de la part de la femme. (Duras, 2006: 49.)
Duras construit la fiction d’une femme qui aurait trouvé dans l’infanticide un moyen de renverser l’ordre des pouvoirs.
Pourtant, cette femme des collines nues, dit-on, aurait trouvé comment défaire en une fois, en une minute, la totalité du bâtiment de sa vie. On le dit. Ce n’est pas sûr. On peut imaginer la chose dans son principe. Dans son fait, on ne peut pas, c’est rigoureusement impossible10. (Duras, 2006: 52.)
Pour emprunter les mots du magistrat Alexandra Fabbri, dans le texte de Duras, « le crime allégorise la reprise en main d’une vie au prix de celle d’une autre » (2010: 152). Si Duras crée un personnage de fiction qui trouve dans la réalité un modèle reconnaissable, remarquons que son personnage est lui-même présenté comme une lectrice de fiction qui transgresse la barrière de l’imaginaire pour s’affranchir :
La femme pénétrée sans désir est dans le meurtre. Le poids cadavérique de la jouissance virile au-dessus de son corps a le poids du meurtre qu’elle n’a pas la force de rendre : celui de la folie. Souvent, ces femmes s’essayent aux lettres anonymes. Parce que beaucoup d’entre elles lisent la collection « Arlequin ». Dans les lettres on peut au moins haïr, écrire le mot, insulter. Mais à ces lettres en général rien ne répond. Et par elles rien ne change. Les lettres sont insuffisantes, elles ne savent pas les écrire. On ne saura jamais comment certaines d’entre les femmes trouvent quoi faire. Même dans le pire, les polars sont limités : on ne doit pas transgresser les interdits millénaires11. (Duras, 2006: 52.)
Si l’infanticide est l’un de ces « interdits millénaires », un autre est celui de dire ou d’imaginer la haine qu’une mère peut ressentir à l’endroit de son enfant, interdit que transgresse Duras en impliquant Christine Villemin au sein de son fantasme. Le geste se double ici d’une autre transgression, celle d’emprunter à une mère endeuillée son histoire afin de la travestir et de mettre en récit cette haine toute particulière. Le motif d’écriture n’est pas étranger à l’œuvre de Duras, mais il s’exprime ici sur une plateforme journalistique où les modalités du partage entre la fiction et la réalité ne répond pas aux mêmes codes. On peut en effet remonter à Un barrage contre le pacifique (1950) pour voir s’exprimer dans son œuvre l’enjeu de l’infanticide et celui de la violence maternelle. Comme le souligne Aliette Armel dans un texte consacré à la figure de la mendiante chez Duras,
ce que [l’auteure] s’obstine à écrire, depuis la première apparition de la mendiante dans Barrage contre le Pacifique jusqu’à l’article scandaleux sur Christine Villemin, c’est […] qu’il peut y avoir lutte à mort entre la mère et l’enfant, au lieu de cet instinct maternel évident et naturel dont Simone de Beauvoir a dénoncé le fondement dans Le Deuxième Sexe, en 1949, en démontrant qu’il s’appuie sur des préjugés et des stéréotypes : il n’est pas inné, mais culturel. Marguerite Duras sort de l’abstraction la théorie de Simone de Beauvoir et du symbolique les meurtres entre générations dont la psychanalyse souligne l’existence et dont les tragédies se nourrissent. Elle prétend en trouver des exemples concrets, incarnés, dans l’Asie lointaine de son enfance, mais aussi dans les faits divers dont chacun parle. (Armel, 2006.)
Duras, qui ne connaît de Christine Villemin que son visage aperçu dans les journaux, lui invente une subjectivité en phase avec une figure de la mère déjà inscrite dans son univers romanesque12. Christine V. y devient le nom de ces femmes-là : « quand les femmes sont comme celle-ci, inattentives, oublieuses de leurs enfants, c’est qu’elles vivent dans la loi de l’homme » (Duras, 2006: 49); « [e]lles ne font pas le jardin » (50), « elles restent impassibles, elles laissent faire » (50). À un certain point, Duras propose un « nous », dans lequel elle s’inclut, un « nous » de femmes devant ces hommes-là :
Mais l’homme qui lui aurait donné ces gifles, elle n’aurait pas pu essayer de les rendre, il aurait rigolé. Ils rigolent dans ce cas. On ne peut pas non plus refuser d’habiter la maison, les quitter, cette maison, ce pays, déserter. L’idée qu’il pourrait nous retrouver, c’est l’épouvante. (Duras, 2006: 51.)
Ainsi la limite qui sépare Christine Villemin, Christine V. et Duras est mouvante au sein du texte. Ceci, particulièrement lorsque la question du regard est convoquée. « Christine V. innocente qui peut-être a tué sans savoir comme moi j’écris sans savoir, les yeux collés contre la vitre à essayer de voir clair dans le noir grandissant du soir de ce jour d’octobre. » (46-47.) L’écriture et le meurtre se trouvent ainsi placés sur un même pied13, où se joignent l’écrivaine et son personnage.
Vue et vision
« Dès que je vois la maison, je crie que le crime a existé. C’est ce que je crois. C’est au-delà de la raison. » (Duras, 2006: 43-44.) Duras insiste : « C’est ce que je vois. C’est au-delà de la raison », répète-t-elle (44). Le verbe « croire » indique clairement que l’affirmation à laquelle il se rapporte est subjective. Duras, qui interprète les faits et gestes de Christine Villemin rapportés dans les médias, place constamment son ignorance des faits réels au cœur de ses énoncés : « Toutes ces circonstances, ces erreurs, ces imprudences, cette priorité qu’elle fait de son malheur sur celui de la perte de son enfant [...] me porterait à croire que l’enfant n’aurait pas été le plus important dans la vie de Christine V. » (47-48.) Le verbe voir est quant à lui plus ambigu, car il désigne à la fois la vue et la voyance. Dans les dernières lignes de sa lettre, pour justifier l’incursion de sa voix dans l’affaire, et tout juste avant de déclarer Christine V. « sublime », Duras écrit : « [C]ela me regarde » (58). Si elle veut par là signaler que cette histoire « la concerne », il n’est pas anodin que le regard soit mentionné. Christine V. est décrite comme une lumière dans la nuit, qui surgit « du fond de la terre » pour illuminer le regard de Duras (2006: 58)14. On retrouve dans tout le texte une des modalités de l’écriture durassienne, celle d’entremêler, à partir du même verbe, la vue et la vision. La polysémie du verbe voir se rapporte à la fois à un réel perceptif (la vue) et à un autre fantasmatique (la vision, la voyance). Dans l’amorce du texte, Duras fait davantage appel à la première de ces deux acceptions du terme : « Je ne verrai jamais Christine V. » (43), « je vois une photo d’elle » (43), « [l]a maison, je l’ai vue » (43). Au fil du texte, la deuxième acception prend de plus en plus d’importance; on entre dans le registre du songe et de l’hallucination, ce qui explique que Duras « voie » le meurtre tout en soulignant à plusieurs reprises que cette vue se situe « au-delà de la raison ». L’ambivalence s’étend : « L’enfant a dû être tué à l’intérieur de la maison. Ensuite, il a dû être noyé. C’est ce que je vois » (44), « [j]e vois ce crime », « [j]e vois la dureté de cet homme » (49), « [j]e crois voir qu’il dresse sa femme selon son idée » (49). Parfois, entre deux passages au conditionnel — dans lesquels Duras propose des hypothèses — se glisse un « je vois » qui souligne que l’auteure « voit » le portrait qu’elle vient elle-même de créer, c’est-à-dire qu’elle imagine15.
Ce ressort qui consiste à confier la narration à un tiers absent qui voit tout de même est courant dans l’œuvre de Duras : je pense à L’homme assis dans le couloir qui, à travers le regard d’une instance narrative indéfinie, présente une femme subissant (et désirant) la violence d’un homme. « Je vois que l’homme pleure couché sur la femme. Je ne vois rien d’elle que l’immobilité. Je l’ignore, je ne sais rien, je ne sais pas si elle dort », peut-on lire à la toute fin du texte (Duras, 1980b: 36). Si un lecteur peut être déstabilisé par une telle mise en scène et vouloir donner une consistance à la narration, il le sera davantage à la lecture d’un texte publié dans un journal, ce qui sous-tend un horizon d’attente différent — le lecteur espérant pouvoir distinguer le regard et l’invention. En entremêlant discours référentiel et langage poétique, en diffusant son texte dans un journal, Duras prête le flanc aux critiques. Tout le paratexte qui encadre sa lettre et vise à l’inscrire dans le registre fictionnel n’a pas suffi à lui éviter le scandale.
Le paratexte
On ne lit pas le texte de Marguerite Duras comme on lit celui d’un journaliste; plusieurs indications paratextuelles mettent cette donnée en évidence. Les journalistes doivent être en mesure de prouver la véracité de leur discours et leur bonne foi, leurs intentions, ce qui n’est évidemment pas le cas des écrivains : la liberté d’expression et la liberté de création répondent, sur le plan juridique, à des exigences différentes — qui intéressent notamment l’avocate Agnès Tricoire et l’Observatoire de la liberté de création, dont elle est la déléguée16. D’abord, dans la version originale de la lettre, le nom de Duras est inscrit à même le titre du texte : « Marguerite Duras. Sublime, forcément sublime Christine V. ». Comme le mentionne l’analyste média Marc Lits, cela « aurait été impensable pour un article de journaliste » (2001: 48); les faits divers eux-mêmes sont d’ailleurs rarement signés. Dès le titre (et tout au long du texte) on soustrait à Christine Villemin son nom de famille, pour n’en garder que le V — à l’instar de Lola Valérie Stein, protagoniste du Ravissement de Lol V. Stein —, ce qui contribue à faire de la femme un personnage de fiction. L’indication paratextuelle la plus incontournable est la note de Serge July, cofondateur de Libération et rédacteur en chef du journal à l’époque. Conscient que les quelques précautions stylistiques de Duras n’allaient pas suffire à convaincre les lecteurs de l’intention romanesque de la lettre ou leur faire accepter cette intention, July présente la démarche dans un encadré qui occupe un quart de la page :
Ce n’est pas un travail de journaliste, d’enquêteur à la recherche de la vérité. Mais celui d’un écrivain en plein travail, fantasmant la réalité en quête de vérité qui n’est sans doute pas la vérité, mais une vérité quand même, à savoir celle du texte qu’elle écrit. Ce n’est de toute évidence pas la vérité de Christine Villemin, ni vraiment celle de Marguerite Duras, mais celle d’une femme « sublime, forcément sublime » flottant entre deux langages, celui de l’écrivain d’une part et celui bien réel, en grande partie non-dit, de Christine Villemin. […] En cela, le texte de Marguerite Duras est scandaleux, car si elle ne vole pas son langage à Christine Villemin, elle ose rêver publiquement de la douleur de cette femme, transgressant son propre malaise et le nôtre, pour affoler le jeu de miroir qu’offre à chacun de nous toute affaire criminelle. (July, 1985: 4.)
Pour rendre légitime le texte de Duras aux yeux des lecteurs de Libération, July insiste pour souligner que l’entrelacement de la vérité et de la fiction y sert la vérité du texte et non celle des faits; que la réalité qui s’y trouve est à la fois référentielle et fantasmée. Il n’a manifestement pas réussi à désamorcer la polémique. Laure Adler, biographe de Duras, rend compte en divers détails des répercussions du texte chez certaines personnalités littéraires et artistiques françaises. Françoise Sagan, Simone Signoret, Benoite Groulx et Régine Desforges, entre autres, désavouent la démarche de Duras (1998: 538). La mère du petit Grégory a également intenté un procès à l’endroit de l’écrivaine et du journal, mais a toutefois été déboutée (Adler: 541). Duras s’est d’ailleurs à demi rétractée dans une entrevue accordée à France 3 en 1993, où elle suggère qu’elle aurait dû ajouter à même son texte des précautions supplémentaires :
Chaque phrase que je disais sur la probable culpabilité, la peut-être culpabilité de Christine Villemin devait, aurait dû commencer par : si nous sommes dans le cas d’avoir à faire à une criminelle, je crois que la criminelle aurait fait cela et cela avant de tuer (Ockrent, 1993: à 4 min 27).
La femme qui mène l’entrevue enchaîne en proposant que « la licence de l’artiste [...], c’est évidemment de ne pas prendre ces précautions-là » (Ockrent, 1993), et Duras lui donne raison. On voit que l’appropriation littéraire de l’affaire Villemin soulève des questions éthiques incontournables.
L’éthique
« Personne n’est jamais mort dans un roman. Car personne n’existe dedans. […] Si certains s’y reconnaissent, qu’ils se fassent couler un bain » (Jauffret, 2010: 9). Ces propos de Régis Jauffret, en préambule de son roman Sévère, cristallisent une certaine posture contemporaine d’auteurs à l’égard de la frontière — ici conçue comme rigide — entre la fiction et la réalité. Est-ce effectivement la licence de l’écrivain que de pouvoir s’approprier l’histoire d’autrui sans se préoccuper des questions d’ordre moral et de la réputation des personnes dépeintes? C’est le point de vue que défend Catherine Mavrikakis dans son texte « Duras aruspice » (2006). L’écrivaine y louange la démarche de Duras et condamne celle de Philippe Besson du même souffle, pour son manque de courage17. La « vérité » de l’écriture, selon elle, se trouve dans la transgression des interdits. La littérature constituerait le dernier espace pouvant se soustraire à la loi (juridique et morale) et elle aurait le devoir de le faire. Mavrikakis conçoit « l’attentat à la pudeur et aux bonnes mœurs » (20) comme une véritable éthique de la littérature. « Contre la loi, le fait littéraire se dresse », écrit-elle (26). Cette posture est partagée par plusieurs de ses contemporains. Aux propos de Jauffret et Mavrikakis s’ajoutent par exemple ceux de Christine Angot18, qui a elle aussi fait l’objet de poursuite en raison de son utilisation critiquée de faits réels. Mavrikakis déplore que la littérature « rase les murs » (18), qu’elle « nous rappelle tout le temps qu’elle est finalement bien peu de choses et qu’elle n’a qu’une parole étouffée, anodine dans le bruit vivant du monde » (22). À propos de Duras, elle écrit : « Elle fait du mal. Son texte est reçu dans la colère, dans la haine. Mais on ne pourra pas faire comme si la littérature n’existe pas, comme si elle est anodine. Elle a une force, elle a encore quelque chose à dire dans la Cité… La voici puissante. » (Mavrikakis, 2006: 33.)
« Ceci n’est pas un fait divers »
Philippe Besson, au contraire de Mavrikakis, en appelle à un certain dosage qu’il considère avoir respecté dans son roman L’enfant d’octobre. L’auteur a fait part de son désaccord à l’endroit de la démarche de Duras dans une entrevue au Magazine littéraire :
J’admets absolument, immédiatement, sans même avoir à réfléchir, que Duras s’empare du monde réel, c’est son droit, nul ne peut le contester, j’admets qu’elle le transfigure, mais cette façon d’asséner la culpabilité, au plus fort de la tempête médiatique, et alors que la mère est emprisonnée me choque. Péremptoire et injuste, elle se place du côté de la meute, et je ne la reconnais pas. Elle manque de discernement, de distance et il me semble qu’on ne peut pas à ce point se laisser conduire par ses visions, ses emportements. (Besson, 2006b: 56.)
L’ironie du sort est que, contrairement à Duras, Besson et les Éditions Grasset ont été condamnés à payer 40 000 euros pour atteinte à la vie privée et diffamation suite à une poursuite des Villemin19.
En plus de l’appellation générique « roman », plusieurs indications visant à placer L’enfant d’octobre sous le signe de la fiction « instaur[ent] avec aplomb un pacte de lecture fictionnel » (Brière, 2009: 167). D’abord, le livre inaugure une nouvelle collection chez Grasset qui s’intitule « Ceci n’est pas un fait divers », en référence au célèbre tableau de Magritte dont le propos est justement de pointer que l’illustration d’une chose n’est pas la chose réelle. Ensuite, à la manière de Serge July, une note de l’éditeur précise : « Ce roman est à l’évidence inspiré de faits réels connus de chacun depuis plus de vingt ans. Toutefois, la reconstitution romanesque effectuée par l’auteur l’a amené à prêter à certains protagonistes des propos fruits de son imagination. » (Besson, 2006a: 6.)
Dans un petit chapitre de sept pages, Besson s’applique à représenter la mère comme étant coupable du meurtre de son fils. Ce chapitre s’ouvre avec une indication semblable à celle que Duras regrette ne pas avoir insérée dans son texte : « Imaginons. / Imaginons ce que s’imaginent ceux pour qui la mère est coupable » (Besson, 2006a: 116). Besson y propose un scénario différent : la mère noie l’enfant dans la baignoire de la salle de bain et le jette dans une rivière. « Bien sûr, il faut une raison, un mobile. En cherchant, les accusateurs peuvent même en débusquer plusieurs » (119), avance le narrateur, pour signaler que les lignes à venir exposent la rumeur ambiante et non des faits avérés. Les quatre paragraphes suivants présentent des hypothèses sur lesquelles l’auteur ne s’attarde que succinctement, notamment celles au cœur du texte de Duras : « La mère a le désir lancinant, obsédant de s’extraire du confinement, d’en finir avec ce qui la retient, ce qui la contraint » (119); « [l]a mère n’aime pas l’enfant » (119); « [l]a mère a un secret, que l’enfant a découvert » (120); « [l]a mère est folle » (121). Rapidement, Besson revient à la voix de Christine, afin de montrer son désarroi, celui d’une mère faussement accusée. Une voix qui ne fera jamais de confession du meurtre et qui jusqu’à la fin se défendra contre la rumeur :
Imaginez que vous deviez vous défendre, que vous soyez réduit à vous justifier, alors que tout vous révulse dans cette accusation, alors que vous n’avez qu’une envie : vomir. Et vous défendre avec rien, avec votre innocence à laquelle personne ne croit, avec une vérité que tout le monde met en doute […]. Si vous résistez à cet acharnement, je vous tire mon chapeau. (Besson, 2006a: 124.)
De fait, la « vérité » que Besson entend défendre s’exprime au sein de chapitres présentés comme « fruits de son imagination », tandis que les passages qui incriminent Christine Villemin sont ceux tenus par la narration en apparence objective et factuelle. Ainsi, Christine Villemin s’est sentie « dépossédée » par l’appropriation fictionnelle de Besson. Dans Le Point, elle se prononce à l’endroit du romancier, en appelant à sa responsabilité de « faire éclater la vérité » :
Je sais, vous allez vous défendre en disant que c’est un roman, mais, monsieur Besson, mon fils Grégory n’est pas un simple prénom couché sur une feuille blanche. C’est un enfant qui aujourd’hui irait sur ses 26 ans et nous nous devons de faire éclater toute la vérité sur son assassinat. (Villemin citée par Demonpion, 2006: 70.)
Les propos de Laurent Beccaria, qui a édité les livres de Christine Villemin et Laurence Lacour, abondent dans le même sens et s’avèrent emblématiques :
En restant dans le cadre des faits, Besson aurait pu restituer la folie de l’hiver 1984-1985. Accumulant contrevérités, erreurs, fantasmes, il pèche malheureusement par vanité, s’arrogeant tous les droits. […] Dans la course à l’échalote de l’impudence, L’enfant d’octobre décroche une bonne place. Il va faire du mal à des hommes et des femmes qui ont eu leur compte de coups, à des enfants bien réels. C’est un gâchis et une tache que Philippe Besson gardera longtemps. Un best-seller ne vaut pas cela. (Beccaria, 2006: 2.)
Cette démarche d’écriture prônée par Beccaria et qui apparaît paradoxale — un roman de la vérité factuelle est-il un roman ou un témoignage, un reportage? — a été adoptée par l’avocat Denis Robert dans son ouvrage J’ai tué le fils du chef, sous-titré Affaire Grégory. Le roman de la Vologne 1984-2018. « L’ensemble des textes réunis dans une stricte chronologie devient œuvre littéraire » annonce-t-on en quatrième de couverture.
En exergue de L’enfant d’octobre, Besson insère une phrase du texte de Duras qui met en question la distance entre l’écrivain et l’enfant mort. Il semble que la figure de Grégory soit en effet pour eux plus qu’un « nom couché sur une feuille de papier » :
Ce crime est un crime dont on ne se lasse pas. Il est insondable, très étendu, très. Souvent, on le perd de vue là où on croyait le trouver et il disparaît quand on s’en approche. De très près, il n’en reste que la monstruosité de l’innocence. Dans ce crime-là on est allé jusqu’à la couche dernière du mal, cette innocence-là devant Dieu20. (Duras, 2006: 56.)
À l’heure actuelle, les motifs du meurtre du petit Grégory restent inconnus; or, certains dispositifs légaux semblent mis en place pour empêcher la fiction d’explorer ou d’occuper les zones floues qui subsistent dans cette affaire. L’écrivain doit répondre aux exigences de l’écriture journalistique ou bien dissimuler les emprunts au réel afin de s’inscrire franchement du côté de l’invention. Les textes de Duras et Besson ne se plient à aucun de ces deux pôles. « Sublime, forcément sublime Christine V. » et L’enfant d’octobre ont le mérite de faire surgir des conceptions opposées de la littérature lorsqu’elle emprunte à la rumeur médiatique : celle d’une littérature telle que conçue par Catherine Mavrikakis, qui aurait comme éthique la transgression; une autre, que défend Beccaria, dont le devoir serait de tempérer le fantasme et de présenter des faits établis, vérifiables. Il y a lieu de se demander, à l’instar de Maïté Snauwaert dans son article du présent dossier, si l’enjeu de la mort de l’enfant ne détient pas un statut particulier surplombant celui de la liberté de création et qui tend généralement à provoquer des polémiques littéraires. « Les actes de violence commis à l’égard d’enfants, a fortiori lorsqu’ils sont causés par un parent, constituent dans l’imaginaire social contemporain la manifestation la plus bouleversante et la plus extrême de barbarie » remarque Émilie Brière (162). On pense au conflit qui a opposé Camille Laurens à Marie Darrieussecq. Avec son roman Tom est mort (2007), Darrieussecq a elle aussi dû réagir face à la colère d’une mère endeuillée de son enfant qui l’accusait de « plagiat psychique21 » à l’endroit du deuil qu’elle avait mis en récit dans Philippe (1995). « Je tuerai autant de bébés qu’il le faut à l’écriture, mais en touchant du bois » (2005: 24) écrivait d’ailleurs Darrieussecq quelques années plus tôt, cristallisant en une formule le danger qui consiste à mettre en fiction la mort d’enfants réels.
- 1. DURAS, Marguerite. 1963. Le ravissement de Lol V. Stein. Paris : Gallimard, p. 64.
- 2. J’établis cette chronologie à partir d’un article du Nouvel Observateur ([s. a.], 2010), d’un autre de L’Est républicain ([s. a.], 2017b) et de quelques informations recueillies dans Le bûcher des innocents (Lacour, 2006).
- 3. Marcel Jacob est un oncle de Jean-Marie Villemin.
- 4. En entrevue, Christine Villemin affirme qu’on lui a « fait faire » ce livre, qu’elle n’a « pas eu la force de dire non ». Son mari ajoute : « Quand on m’avait parlé du projet du livre et de certaines exclusivités, je disais vas-y, puisque les gens verront comme tu es, et puis ça va nous donner les moyens [financiers] de nous défendre. Mais au contraire, c’est ce qui nous a en partie enfoncés. » (Cavada, 1994.)
- 5. L’éditeur dévoile au journal L’Est républicain la lettre de témoignage de suicide de Lambert, qui écrit ne pas avoir « la force désormais de [s]e battre dans la dernière épreuve qui [l]’attendait », faisant sans doute référence à la réouverture de l’affaire Villemin suite aux nouvelles mises en examen en 2017 ([s. a.], 2017a).
- 6. La chaîne France 3 a été condamnée en 2009, tout comme Arte, qui a rediffusé la série deux ans plus tard ([s. a.], 2017b).
- 7. Si le téléfilm L’affaire Villemin se présente comme une œuvre de fiction, rappelons qu’il a été partiellement scénarisé à partir du témoignage de Christine et Jean-Marie Villemin. Duras et Besson, romancière et romancier, ne sont pas des protagonistes directement impliqués dans l’histoire du petit Grégory; leurs textes proposent des points de vue extérieurs. En cela, leurs textes affichent une ambition radicalement différente de tous ceux rédigés par des membres de la famille ou du corps judiciaire.
- 8. « On ne peut nier l’ampleur de la tâche qui sa vie durant a consisté à prendre un cliché de la réalité pour le faire entrer en littérature, en conférant à ce rapt du réel une intensité à laquelle il faut rendre hommage. » (Fabbri: 154.)
- 9. Dans le troisième épisode, on montre notamment un des journalistes se confiant à Jean-Marie avant le meurtre, pour lui dire que s’il était à sa place, il « descendrait » Longuet (Peck, 2006: 15 min 32 du 3e épisode).
- 10. [Je souligne.]
- 11. [Je souligne.]
- 12. Le même procédé était à l’œuvre dans Le ravissement de Lol V. Stein, où Duras offre aussi le portrait d’une femme rencontrée dans la réalité; une femme aperçue sur la plage lors d’un bal donné à un hôpital psychiatrique et à laquelle elle attribue un nom tronqué, Lol — suivant son désir de la voir interprétée par la comédienne Loleh Bellon (Duras en entrevue avec Dumayet, 1964).
- 13. Philippe Vilain s’intéresse au statut de la figure du criminel dans l’œuvre de la romancière et observe : « Si le criminel fascine autant Duras […], c’est que, comme l’écrivain, il possède un pouvoir singulier, divin d’une certaine manière, celui de donner la mort ou de la gracier, et que l’acte criminel procède d’une transgression analogue à celui d’écrire. » (Vilain, 2006: 55.)
- 14. « Ce qui aurait fait criminelle Christine V. c’est un secret de toutes les femmes, commun. Je parle du crime commis sur l’enfant, désormais accompli, mais aussi je parle du crime opéré sur elle, la mère. Et cela me regarde. Elle est encore seule dans la solitude, là où sont encore les femmes du fond de la terre, du noir, afin qu’elles restent telles qu’elles étaient avant, reléguées dans la matérialité de la matière. Christine V. est sublime. Forcément sublime. » (Duras, 2006: 58.)
- 15. « Il se pourrait que Christine V. ait vécu avec un homme difficile à supporter. […] Je vois la dureté de cet homme s’exercer sans trêve aucune, être de principe, éducative. » (Duras, 2006: 49.)
- 16. On trouvera le manifeste de l’Observatoire à l’adresse suivante : https://www.ldh-france.org/sujet/observatoire-de-la-liberte-de-creation/Manifeste-de-l-Observatoire/
- 17. « À partir d’une idée de Duras, Besson décide de faire parler Christine Villemin vingt-deux ans trop tard dans un texte désespérément plat où il n’y a plus rien de vraiment courageux à écrire sur l’histoire […]. » (Mavrikakis, 2006: 19.)
- 18. Dans L’usage de la vie, elle écrit entre autres : « Une norme de la société dans la littérature, qu’est-ce que ça vient faire ? » (Angot, 1999: 18) ; « On peut utiliser toute la vie dans l’écrit heureusement. Tout, on peut tout dire, tout. Dans l’écrit. Que son enfant on voudrait la voir morte. Que les juifs, on leur crache dessus. Tout. Quand je me retrouve avec cette liberté totale devant la page, je m’aperçois qu’il n’y a rien à dire » (19). L’auteure et son éditeur, Flammarion, ont été condamnés à payer 40 000 euros à l’épouse de l’ancien compagnon de Christine Angot (Aïssaoui, 2013) suite à la publication de Les petits (2011).
- 19. « Une somme élevée au regard des condamnations habituelles dans ce domaine, qui n’excèdent pas 15 000 euros. Fait rare, le jugement est même assorti d’une exécution provisoire, qui oblige Grasset et Philippe Besson à verser ces sommes même s’ils décident de faire appel. “La XVIIe chambre de la presse du tribunal de grande instance de Paris n’a pas pour habitude de pourfendre la liberté d’expression, mais cette fois-ci les limites ont vraiment été franchies”, explique à 20Minutes.fr l’avocate de Jean-Marie et Christine Villemin, Anne Boissard. » ([s. a.], 2007.)
- 20. Notons que Besson cite Duras de façon approximative. On lit plutôt dans son ouvrage : « Ce crime est insondable. Souvent on le perd de vue là où on croyait le trouver et il disparaît quand on s’en approche. De très près il n’en reste rien que la monstruosité de l’innocence. Dans ce crime on est allé jusqu’à la dernière couche du mal. » (2006a: 7.)
- 21. « J’ai lu Tom est mort dans un vertige de douleur, le sentiment d’une usurpation d’identité, la nausée d’assister par moments à une sorte de plagiat psychique. » (Laurens, 2007: 4.)