La preuve par l’architecture rassemble une partie des objets de l’installation The Evidence Room présentée concurremment à la 15e Biennale d’architecture de Venise jusqu’au 27 novembre 2016. Le volet montréalais regroupe vingt moulages en plâtre de documents préservés dans les archives du Musée national Auschwitz-Birkenau (plans, photographies, lettres, bons de commande) ainsi que la reconstitution en taille réelle de dispositifs architecturaux (trappe étanche au gaz et colonne de gaz) conçus pour l’assassinat de masse des êtres humains amenés de force à ce sinistre camp d’extermination.
Les documents reproduits sont tirés de la preuve assemblée par Robert Jan van Pelt dans le cadre d’un procès en diffamation tenu à Londres en 2000, dans lequel le demandeur niait l’existence des chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau. Les moulages et les fragments ont été réalisés à l’École d’architecture de l’Université de Waterloo, Ontario, sous la supervision des commissaires de l’exposition.
L’installation se présente aux visiteurs comme un paysage blanc, accompagné de très courts textes explicatifs. Entre esthétique de la disparition et camouflage de l’horreur, cette blancheur constitue presque un obstacle. Les moulages ne peuvent être déchiffrés qu’à courte distance et être compris qu’après une inspection comparative minutieuse. Les textes guident l’œil qui cherche et peine à trouver. La tentation de toucher l’objet pour mieux déchiffrer, ou de faire apparaître les images en relief par frottage, est constante. L’effort exigé permet de comprendre la conception du complexe crématoire et les modifications apportées aux accès par les architectes pour accroître la productivité, et de réaliser que les chambres à gaz n’étaient pas munies de fausses douches dans lesquelles le gaz mortel aurait été diffusé par la manipulation d’un robinet.
Deux mécanismes fort primitifs ont été conçus pour introduire dans des salles étanches à l’air les pastilles de l’irritant et mortel pesticide Zyklon B. Le premier est une simple ouverture, fermée par un anodin volet de bois de 30 x 40 cm et percée dans le mur extérieur à une hauteur qui la rendait hors de portée, par laquelle les cristaux dégageant le gaz étaient introduits par un exécutant. Le second est une imposante colonne métallique carrée formant une double cage. La cage interne, faite d’un grillage carré au maillage de 2 cm, était connectée à une cheminée munie d’une trappe par laquelle l’exécutant situé sur le toit descendait un panier métallique rempli de Zyklon B. La cage externe, faite d’un robuste grillage au maillage carré de 5 cm, bloque le passage des mains et protège le contenu de la cage interne. La chambre, qui pouvait contenir 2 000 personnes debout, était munie de quatre de ces colonnes perméables au regard des individus exécutés, qui ont vu dans les derniers instants de leur vie, suspendu par une chaine à quelques centimètres du sol, le panier inatteignable causant leur douloureuse asphyxie.
Profondément troublante, La preuve par l’architecture rappelle que la raison instrumentale promue par la modernité architecturale du XXe siècle, tant dans ses déclinaisons nationales qu’internationales, a conduit, et peut encore conduire, aux pires abominations quand elle n’est pas encadrée par une conscience éthique largement partagée. De plus, elle démontre, et encore davantage la publication qui l’accompagne1, que l’analyse technico-légale n’est pas qu’une extension de l’histoire de l’architecture mais une méthode incontournable pour transformer en preuves les fragments documentaires trouvés dans les poubelles de l’histoire.