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Section sous la responsabilité de
Marion Haza
Denis Mellier

Dans sa trilogie composée des romans Oryx and Crake (2003), The Year of the Flood (2009) et MaddAddam (2013), l’autrice canadienne Margaret Atwood met en scène un monde post-apocalyptique dans lequel l’humanité a été remplacée par des « crakers », créatures augmentées, sans haine et sans jalousie, physiquement parfaites et, surtout, résistantes aux épidémies. Leur corps vire au bleu dans l’accouplement, alors que des « porcons » intelligents et cruels, ainsi que des petits lapins verts courent dans les fourrés.

On pourrait penser que ce monde relève totalement de l’imaginaire, mais ces dernières créatures ont bel et bien fait leur apparition dans les biotechnologies et dans l’art à la fin du XXe siècle. En effet, la découverte de la protéine fluorescente verte (GFP) dans les années 90 a rendu possible la transformation d’espèces vivantes dans un but esthétique ou commercial. Et les artistes du bio-art, dont les œuvres mettent le corps humain ou animal à l’épreuve de la modification génétique, se sont rapidement emparés du procédé.

Le plasticien Eduardo Kac fait partie de ces artistes pionniers qui travaillent avec des laboratoires pour produire des êtres génétiquement transformés. Trois de ses œuvres explorent en particulier les potentialités de la mutation génétique : Genesis (1999), GFP Bunny (2000) et The Eighth Day (2001). Elles se présentent respectivement sous la forme d’une boîte de Petri, d’une lapine, et de végétaux sous cloche de verre modifiés par la GFP. Le second élément est très controversé. En effet, l’artiste dit avoir coproduit avec un laboratoire français une lapine génétiquement modifiée, nommée Alba, et qui, exposée sous un éclairage ultraviolet, prendrait une couleur verte. Vivante et en bonne santé, Alba devient très vite l’objet d’une polémique, le directeur du laboratoire s’opposant à ce que l’artiste adopte l’animal et le présente au festival Avignon numérique en 2000.

Le bio-art ou art postbiologique, en utilisant des créatures animales transgéniques, soulève de nombreuses questions : pourquoi ce que nous refusons dans nos assiettes serait-il admis dans un musée? Qui est propriétaire de cette invention? Qui en est auteur? Le laboratoire? L’artiste? Le spectateur projetant des rayons ultraviolets qui font apparaître la translucidité des organismes? Quelles conséquences sur le droit de la création? La transgénèse pour des raisons artistiques ou d’agrément personnel (avec l’introduction des GloFish dans les aquariums par exemple) est-elle éthiquement acceptable? Quel est son impact possible sur la biosphère? Ainsi cette modalité d’expression artistique ouvre-t-elle un débat de société sur l’animal augmenté.

Pour citer

BARON, Christine. 2019. « Lapins verts », Captures, vol. 4, no 2 (novembre), section contrepoints « Au-delà du corps ». En ligne : revuecaptures.org/node/3749