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Section sous la responsabilité de
Ania Wroblewski

Entre 1972 et 1978 John Wayne Gacy (1942-1994), tueur en série américain notoire, a violé et tué 33 garçons dont les corps ont été retrouvés dans le vide sanitaire de son domicile à Des Plaines, en banlieue de Chicago. Gacy, alias « Pogo le clown », se costumait en amuseur public lors d’événements caritatifs. On ignore s’il a commis ses crimes ainsi costumé. Il fut néanmoins surnommé « The Killer Clown ». Cette personnification sinistre a allègrement alimenté la culture populaire et a été reprise dans plusieurs œuvres de fiction.

Gacy fut condamné à la peine capitale en 1980 puis exécuté en 1994. Au cours de son incarcération, il créa de nombreuses œuvres picturales représentant des scènes circassiennes ou des célébrités. Si plusieurs de ses peintures furent détruites après son exécution, certaines d’entre elles furent mises en vente. La question s’est alors posée de savoir s’il était moralement admissible de collectionner et d’exposer des œuvres de cette nature. La présentation en 1996 de trois de ses réalisations dans le cadre de l’exposition The Moral Imagination tenue du 26 octobre au 30 novembre à la galerie Plug In à Winnipeg aura permis de mettre en exergue les enjeux éthiques soulevés par la monstration d’œuvres frappées d’infamie.

Organisée par le commissaire canadien Wayne Baerwaldt, The Moral Imagination regroupait une vingtaine d’artistes canadiens et internationaux sur des sujets relatifs aux identités sexuelles, à la censure et aux représentations du mal. La présence d’œuvres du tueur, propriété d’un ami de Baerwaldt, suscita la controverse. Plusieurs médias locaux et nationaux condamnèrent le caractère odieux de la proposition curatoriale, avant même l’ouverture de l’exposition. Le Winnipeg Sun consacra sa une du 17 septembre 1996 à cette affaire (St-Germain, 1996). L’exposition soulève de vives réactions, entre autres d’organismes œuvrant à la défense des victimes de violence qui y voient une offense à la mémoire des suppliciés de Gacy.

En réponse aux contestations relayées par les médias, Baerwaldt décide de ne pas exposer les œuvres de Gacy et de substituer à celles-ci des coupures de presse du Winnipeg Sun reproduisant les œuvres de l’artiste honni (Brydon, 1998). Ce faisant, Baerwaldt fait porter au journal l’odieux de montrer les images incriminées et dédouane la galerie de toutes accusations de complaisance envers les réalisations du tueur en série.

Pour citer

LEMIEUX, Nancy. 2019. « Exposer les œuvres d’un tueur en série », Captures, vol. 4, no 1 (mai), section contrepoints « Trouble dans l’image ». En ligne : revuecaptures.org/node/3310/